Le PdV à La Ferrière d’Allevard

 

En 1967, le père de Vallée accepta la suggestion que je lui avais faite de quitter au mois d'août l'étuve de la Maison du Lycéen pour venir rendre service à la paroisse de La Ferrière (Isère, au dessus d'Allevard, 930 mètres d'altitude) sans prêtre et riche en fidèles durant l'été. Il pourrait en même temps s'y reposer au frais, sinon dans un grand confort. Celui de l'ancien presbytère était sommaire, même la « chambre de l'évêque » se révélait poussiéreuse. Des travaux furent exécutés par la suite avec des estivants de bonne volonté transformés en femmes de ménage ou en peintres. D'année en année les lieux devinrent plus agréables tandis qu'un rythme de vie s'établissait.

À midi, le père était invité à déjeuner, le soir il mangeait sa soupe en solitaire, mais venait passer la soirée en famille. Grâce à son contact très direct, il eut vite fait connaissance aussi bien avec les quelques habitants permanents du village qu'avec les vacanciers d'origines variées. La messe du dimanche, celle du 15 août, devinrent de grands moments de prière, de nourriture spirituelle grâce aux homélies, de [72] rencontres amicales qui se prolongeaient sur le parvis de l'église. La messe quotidienne, célébrée le soir, était suivie par de petits groupes. Pour être complet, il faut ajouter que le père devenait aussi curé de Pinsot, village voisin, en allant y célébrer le samedi soir la messe anticipée du dimanche.

Contrastant heureusement avec son existence bousculée de Grenoble, la vie du père à La Ferrière se déroulait dans une ambiance détendue et reposante.

 

Son trajet le matin de la cure à la boulangerie demandait un délai considérable en raison des arrêts-causettes échelonnés sur le parcours. Villageois et estivants prenaient plaisir à le rencontrer et à bavarder. Le père fut bientôt une des personnes les mieux informées sur la vie du village.

 

Il participa aux joies et aux deuils de la petite communauté. Une rencontre le marqua profondément: celle d'Henri Irénée Marrou1. Ce grand savant et philosophe, prestigieux spécialiste des origines de l'Église et de saint Augustin, passait ses vacances dans son chalet de La Ferrière. Les échanges entre Marrou et le père durent se situer à un niveau d'excellence, mais nul n'en fut témoin. L'après-midi, le père travaillait ou recevait des visites, car sa nouvelle adresse de vacances était connue. De temps à autre, il partait pour l'effort plus soutenu de promenades dans les forêts qui couvrent les versants de la vallée. Le père aimait beaucoup le paysage des Sept Laux, le contact avec une nature qui peu à peu retourne à l'état sauvage, désertée par les hommes. (Retour des loups...)

Nous le recevions toujours avec joie. Il arrivait avec une ponctualité voulue à l'heure convenue et parfois s'annonçait en disant : « Voilà le pique-assiette ! », ce qui provoquait nos protestations très sincères. Il avait d'ailleurs souvent les mains chargées de fruits ou de melons. Il s'affairait, donnait un coup de main, s'extasiait sur la vue. Son goût très sûr se manifestait par quelques judicieuses remarques sur un vieux meuble ou une faïence ancienne. Il ne cessait de manifester le bien-être qu'il ressentait dans nos montagnes.

 

On le sentait détendu, heureux de retrouver nos enfants, dont l'un était son filleul, de les écouter, voire de les provoquer. Il se plaisait aussi à évoquer de vieux souvenirs, à rappeler les trajectoires de quelques anciens, à parler de La Ferrière et de ses habitants.

 

Le père s'arrangeait pour rester trois semaines et ne repartait qu'après le troisième dimanche d'août. Il nous quittait alors discrètement pour gagner Thiers où il terminait brièvement ses vacances en famille. Ce départ nous laissait mélancoliques, attristés par le vide qui se révélait. Ces séjours vivifiants pour lui comme pour nous se répétèrent trente-trois ans d'affilée. Le logement se modifia à la suite de travaux lancés par la mairie pour récupérer une partie de l'ancien presbytère, inoccupé sauf en août. Le confort moderne y gagna si l'espace se réduisit.

 

Les paroissiens organisèrent une petite fête à la sortie de la messe pour célébrer le vingtième séjour du curé d'été de La Ferrière. Ses quatre-vingts printemps furent chantés sur l'air de la saint Hubert. Il était devenu alors curé du Sacré-Cœur, et grâce à des confrères dévoués, notamment, le père Engelmann, pouvait laisser un temps sa paroisse urbaine sans que le service fut interrompu. Puis sa santé commença à décliner, sa démarche devint difficile, sa respiration haletante. Les trois dernières années, il attendait vraiment anxieusement l'autorisation médicale de monter à La Ferrière, l'altitude pouvant rendre son souffle plus pénible. Il vivait avec sa réserve d'oxygène. Ses forces l'abandonnaient, mais il célébra la messe jusqu'au bout, sans oublier Pinsot. Les vacances de 1999 se passèrent mal. Le père subit plusieurs crises et il fallut le redescendre d'urgence à l'Hôtel-Dieu. Au contraire, son séjour de juillet-août 2000 nous parut signe d'une amélioration, même si les forces manquaient. Ce n'était qu'une apparence et son retour à Grenoble fut le dernier.

 

Reste le souvenir que le PdV a laissé à tous. Sa parole et son exemple lui survivent et le bien qu'il a fait aux cœurs et aux âmes continue son chemin, soutenu, nous le savons, par l'action qu'il poursuit auprès de Dieu et de Marie, avec bien d'autres moyens que sur la Terre.

 

Robert Bornecque

 

 

1Henri-Irénée Marrou (1904-1977), en plus de ses qualités d’historien et de musicologue, a participé à la Résistance par ses écrits et par le sauvetage de Juifs dans l’association L’Amitié chrétienne. Il a été le premier grand intellectuel français à dénoncer la torture en Algérie. Il a été un des co-fondateurs de la collection « Sources chrétiennes ». À La Ferrière, où le PdV m’a mis en contact avec lui, il lui arrivait de servir la messe du PdV. Bernard Berthier