L’énergie : une amie mal aimée ?


Voici le plus long article de fond qu’à tort ou à raison La Cambuse a jamais publié. Jean-François Dalloz (Cambusard, ancien ingénieur des chantiers navals à La Ciotat et La Seyne dans l’entreprise Normed, conférencier pour l'ENSTA 1) le prépare depuis plus d’un an, mais le modifie sans cesse en fonction de l’actualité, toujours insistante sur ce sujet — le naufrage du pétrolier Prestige en fait foi à l’instant. La rédaction a soumis cet article en projet à plusieurs relecteurs ou correcteurs 2 : l’auteur a tenu compte des remarques qui lui ont été faites, mais reste seul responsable de ses propos. En cette matière, où la science, la technique et la politique s’entrecroisent, bien malin qui peut prétendre détenir la vérité. Mais cet article a pour but d’éclairer de manière aussi complète, et si c’est possible, objective, les citoyens du monde que nous sommes tous. Par là, il n’est pas sans rapport avec les idées que défend Yves Moulin sur le front de Porto Alegre (Cb. 15) ou de Johannesburg (cf. 16). De plus, les lecteurs assidus de La Cambuse, en se souvenant des articles de Jean-François Dalloz sur la parabole des talents (Cb. n°12) et sur Alain Touraine (Cb. n°15) remarqueront la continuité de la pensée de l’auteur : le constat de la diversité engendre la complémentarité.


Aborder le thème de l’énergie en restant dans le domaine du qualitatif permet de démontrer tout et son contraire. Il faut passer sous les fourches caudines du quantitatif pour faire le tri entre l’important et l’accessoire et le lecteur doit pouvoir vérifier. Au sein d’une abondante documentation j’ai retenu trois sources principales fiables et de qualité, en précisant chaque fois la page concernée :

- Pierre Bacher, auteur de Quelle énergie pour demain ? aux éditions Nucléon, 2000 (PB) ;

- Georges Charpak et Henri Broch, coauteurs de Devenez sorciers devenez savants aux éditions Odile Jacob, 2002 (GC) ;

- Enfin le journal Le Monde (LM).


De nos jours, tout grand problème politico-économique, comme celui de l’énergie, se caractérise par ses objectifs tant qualitatifs que quantitatifs, les techniques mises en œuvre, les délais nécessaires, les coûts correspondants. Un projet cohérent ne peut résulter que d’un compromis entre ces quatre aspects souvent contradictoires. Lors de la préparation des décisions, usagers, techniciens (exploitants et concepteurs), industriels, gestionnaires, financiers, économistes, sociologues doivent monter au créneau au côté des politiques. Tous doivent faire entendre leur message. Chacun doit prêter attention à la voix des autres pour aboutir à un consensus. Félicitons les écologistes qui ont mis l’accent sur l’importance de la qualité des objectifs et de leurs retombées positives ou négatives. Mais les débats où seuls certains aspects d’un problème sont pris en considération tournent court. Le débat sur l’énergie n’a pas échappé à ce travers et c’est pour cette raison qu’il est devenu si vif. L’énergie a perdu le statut de dieu que les anciens avaient donné au soleil et aujourd’hui, pour quelques uns et sous certaines formes, elle est devenue le diable. Entre les deux, ne serait-elle plus qu’une amie mal aimée ?

Quel objectif ?

Le problème de l’énergie assumé dans sa globalité peut se présenter de la façon suivante :

- Assurer les besoins de façon équitable ;

- Maîtriser les coûts ;

- Réduire les risques et les nuisances ;

- Promouvoir un développement durable harmonieux.

Cette présentation, qui sous-tend une hiérarchie des priorités, peut prêter à débat. Ainsi, pour les “ Verts ”, l’objectif est : “ dans l’intérêt général, il faut à la fois lutter contre l’augmentation de l’effet de serre, sortir du nucléaire et offrir des moyens énergétiques suffisants. ”

Une inégalité criante

Aujourd’hui, pour une population mondiale de 6 milliards d’habitants, la consommation annuelle d’énergie est de l’ordre de 8,7 milliards tep (tonne équivalent pétrole), soit en moyenne 1,45 tep par habitant et par an. Mais la situation est très inégale :

- 8 tep en Amérique du Nord (PB 19)

- 4 tep en France (PB 14)

- 0,8 tep en Chine (PB 19)

- 0,5 tep au Bangladesh (PB 109).

Plus de deux milliards d’êtres humains n’ont pas accès à l’électricité qui est “ au cœur de l’amélioration du bien-être dans nos sociétés modernes ”, et “ les communautés concernées sont dans l’incapacité d’atteindre le premier échelon du développement ” (PB 31, 39, 32).

En l’absence de mesures radicales, cette inégalité ne peut aller qu’en empirant avec l’augmentation de la population mondiale (9 milliards en 2050) et celle des tensions sur les approvisionnements de pétrole et de gaz.

Certes, les appels à l’équité se multiplient face à cette situation, mais la route pour y parvenir sera dure et longue tant est large le gouffre qui sépare l’attente de la réalité.

Les énergies finales

Par “ énergie finale ” entendons celle qu’on utilise en dernier ressort sans autre conversion. Les énergies finales essentielles sont l’électricité et les carburants liquides issus de la distillation du pétrole. Chacune a sa spécificité, mais il est remarquable que toutes deux soient parfaitement complémentaires. Le tableau ci-après précise leur répartition (en quantité d’énergie primaire exprimée en millions de tep par an).


 

Monde

 

France

 

Électricité

3000

34%

100

40%

Pétrole (transport)

1600


39%

50


40%

Pétrole (autres)

1800

50

Autres

2300

27%

50

20%

Total

8700 Mtep/an

 

 

250 Mtep/an


“ L’électricité est […] une forme d’énergie qui peut être produite à partir de n’importe quelle énergie primaire, ce qui la rend extrêmement adaptable aux évolutions dans les approvisionnements, et un point de passage obligé pour l’utilisation de nombre d’entre elles, dont la plupart des énergies renouvelables et le nucléaire. ” (PB 39) Les principaux atouts de l’électricité sont sa facilité de transport et sa disponibilité instantanée. Son principal inconvénient est qu’elle ne se stocke pas, ce qui la rend impropre aux “ transports autonomes ” terrestres, maritimes ou aériens où le pétrole est roi du fait de sa haute capacité énergétique et de ses facilités de transport et de stockage.

Quand on a techniquement le choix entre plusieurs énergies finales, une donnée essentielle est la structure du coût. Ainsi certaines sources d’électricité (hydraulique, éolienne, solaire, nucléaire) nécessitent de lourds investissements mais peu de dépenses d’exploitation, d’autres (pétrole, gaz naturel, biomasse) entraînent des investissements faibles mais de fortes dépenses de combustible. Entre les deux, le charbon (cf. PB 42, 43). Les efforts actuels pour mieux assurer les besoins en énergie portent sur le développement de l’électricité à partir des énergies renouvelables (donc nécessitant des investissements élevés) et une réduction de la consommation des énergies fossiles (pétrole, gaz) qui ne sont pas inépuisables.

Cette évolution se heurte à de fortes contraintes :

- technologiques : par exemple là où un trajet à voiture à essence nécessite 1 kg d’essence, une voiture électrique devrait transporter 375 kg de batterie (Renault R.D. n°1, p. 22). La voiture électrique aussi performante que la voiture à essence n’est pas pour demain ;

- le coût : ainsi “ le courant éolien coûte trois à quatre fois plus cher que le nucléaire ; le solaire, dix fois plus cher ” (Jacques Bouchard, LM 11-04-2002, p. 20)

Les énergies primaires

Les énergies primaires les plus courantes sont les énergies fossiles charbon, gaz, pétrole, auxquelles s’ajoutent les énergies renouvelables (hydraulique, solaire, éolienne, géothermique, biomasse) sur lesquelles nous reviendrons. Last but not least : l’uranium.

Les énergies renouvelables étant très loin d’assurer les besoins, même dans un avenir lointain, le premier problème soulevé par les énergies primaires est celui des réserves difficiles à estimer. Au niveau mondial, et au rythme actuel de la consommation, elles seraient de plusieurs siècles pour le charbon et l’uranium (PB 28, 29) mais d’un peu moins d’un siècle pour le pétrole et le gaz (PB 28). Le problème le plus crucial est donc d’ici deux ou trois générations celui des “ transports autonomes ” (environ 20% de la consommation mondiale actuelle), pour lesquels le pétrole est la seule solution viable en 2002. Beau défi pour les générations à venir dont on pressent le formidable appétit de transports. La gazéification du charbon (PB 23) peut être un élément de solution. La communauté scientifique travaille en ce moment sur la récupération des réserves extrêmement importantes d’hydrates de gaz non exploitées jusqu’à présent. Toutefois, cette voie présente de très gros risques environnementaux et le rendement de récupération du méthane a des chances d’être médiocre. Dans la situation présente des technologies, la raréfaction du pétrole s’accompagnerait d’un envol des prix des transports, ce qui induirait des bouleversements économiques majeurs.

Le second problème est celui de la localisation. Si le charbon est assez équitablement réparti sur la planète (PB 163), ce n’est pas le cas du gaz et du pétrole. Pour le pétrole, “ les études prospectives laissent prévoir que d’ici quelques décennies la seule région du marché exportatrice sera le Proche-Orient avec tous les risques géopolitiques que cela comporte. ” (PB 164) Les enjeux pétroliers sont à l’origine de la dérisoire intervention franco-britannique à Suez (1956), mais surtout de la meurtrière guerre du Golfe (1991).

Enfin, le rythme auquel nous consommons les énergies fossiles est des plus alarmants. Georges Charpak (prix Nobel de physique en 1992) et Henri Broch soulignent combien il est stupéfiant “ que nous dilapidions en un aussi court laps de temps les combustibles fossiles — charbon, pétrole, gaz — accumulés pendant des dizaines de millions d’années au cours d’un cycle complexe de stockage des résidus des matières végétales ou animales ” (GC 12). La seule note d’espérance ne peut être que la découverte de nouveaux et importants gisements comme celui de la province d’Alberta au Canada (LM 07/06/2002, p. 4).

Enfin nous reviendrons plus loin sur les nuisances qui s’attachent à chacune de ces énergies.

La quadrature du cercle

S’il est un domaine où les motivations sont à la fois nombreuses, vertueuses et contradictoires, c’est bien celui de l’énergie. D’un côté, il ne faut pas freiner la croissance des pays riches qui tirent l’économie, il faut développer la mondialisation (qui repose essentiellement sur le faible coût actuel des transports, donc du pétrole et du gaz), assurer la sécurité et la continuité des approvisionnements et pour cela ne pas hésiter à contrôler les pays producteurs et les voies de transport. De l’autre, on s’engage à assurer un approvisionnement bon marché des pays pauvres (en leur donnant la priorité d’accès aux énergies ne nécessitant pas des investissements lourds, donc au pétrole et au gaz), à économiser, à préserver les réserves pour les générations futures, à respecter la liberté d’action des pays producteurs. On va promouvoir l’énergie éolienne tout en refusant le bruit et la dégradation des paysages que cela entraîne. Développons l’hydraulique en protégeant l’environnement mais sans accepter la modification des écosystèmes en aval des barrages. Assurons notre indépendance énergétique. Fournissons de l’électricité au tiers de l’humanité qui en est dépourvue et simultanément sortons du nucléaire sans revenir à la bougie. Comme les États-Unis (qui n’ont pas ratifié les accords de Kyoto de 1997), ne réduisons pas nos émissions de gaz à effet de serre (ce qui pourrait réduire notre activité économique), mais engageons les pays en voie de développement à être exemplaires en ce domaine. Quant aux déchets toxiques, nous ne les stockerons pas chez nos voisins, ni chez nous bien sûr. Nous mettrons en œuvre tous les principes de précaution, nous tendrons vers le risque zéro et cependant nous agirons.

Fastidieuse énumération dont le seul mérite est de montrer qu’aucune politique de l’énergie ne peut être parfaite. Il convient de hiérarchiser les objectifs et les risques associés, de choisir les priorités, en un mot de trouver le juste milieu.

Les économies d’énergie

Pour les pays pauvres c’est, bien sûr, une démarche peu motivante même s’ils sont concernés par une meilleure utilisation de l’énergie. Pour les autres, trois voies sont possibles. L’une s’appuie sur la technique : limitation automatique de la vitesse maximale des véhicules, maisons bien orientées et bien isolées, régulation automatique du chauffage pièce par pièce, réfrigérateurs à isolation renforcée, lampes à faible consommation, détecteurs infrarouge gérant automatiquement l’éclairage dans les lieux de passage, etc. Une autre est celle des comportements : lutter contre le gaspillage, éteindre les lampes, décaler l’heure d’été, utiliser les transports en commun, covoiturer, aller à bicyclette, à cheval… Sans oublier le courrier électronique, qui crée tout de même moins de pollution que les fourgons de La Poste. Nous savons que tout ceci ne mène pas très loin. Le professeur Weizsäcker, cité par Pierre Bacher (PB 16, 17), propose des transformations radicales dans le domaine de l’urbanisme permettant de réduire les besoins et le coût des déplacements. Très certainement, une des voies les plus efficaces face à un constat très préoccupant : “ de 1989 à 2000, la part de la voiture a progressé de 23% dans les déplacements quotidiens. […] En 2002, un quart des ménages de l’Union européenne possèdent deux voitures. Or, si cet exemple faisait école à l’échelle de la planète, il y aurait dans le monde, à l’horizon 2020, 3 milliards de voitures de tourisme contre 829 millions actuellement ”, prévient Alliance pour le climat (LM 22/09/2002, p. 10). La voie la plus certaine serait celle d’une fiscalité accrue portant en priorité, et pour les seuls pays riches, sur les énergies fossiles (pétrole et gaz).

Les énergies renouvelables

Les énergies solaire, éolienne, hydraulique, marémotrice, géothermique ont en commun de ne pas épuiser les ressources naturelles existantes et de n’avoir aucun effet sur l’environnement tant qu’elles ne sont pas exploitées de manière intensive. Cependant, la situation mérite d’être détaillée. Par ailleurs, il est d’usage d’inclure la biomasse (le bois essentiellement) dans la famille des énergies renouvelables. Cette manière de faire s’appuie sur deux postulats discutables : la forêt se renouvelle au même rythme qu’on l’exploite… et la consommation de bois ne pollue pas (le raisonnement étant que la photosynthèse réalisée par la forêt compense les émissions de gaz carbonique résultant de la combustion du bois…)

Le solaire et l’éolienne sont des sources intermittentes. De ce fait, elles nécessitent des moyens de remplacement disponibles à tout moment. Les cellules photovoltaïques qui transforment le rayonnement solaire en électricité ont un rendement médiocre. Un avantage pour les éoliennes : “ Implantés en mer les parcs éoliens causent moins de nuisance sonore et visuelle tout en assurant une production d’électricité plus régulière. ” (LM 03/04/2002, p. 26) Les espaces au sol pour les mettre en œuvre sont importants, leurs coûts très élevés. Les zones isolées sont les plus appropriées pour être équipées de ce type d’énergie (eau chaude sanitaire et chauffage domestique surtout). De ce fait, les productions solaires et éoliennes restent très marginales bien que, de leur côté, les écologistes estiment que la situation serait bien différente si l’argent investi dans le nucléaire était utilisé pour développer ces énergies. Pour terminer, citons le projet pharaonique de tour solaire (130 m de diamètre, 1000 m de hauteur, 5 millions de m2 de capteurs) envisagé par l’Australie sur le site de Buronga, dont le coût serait légèrement supérieur à celui d’une centrale à charbon de même puissance, fonctionnant jour et nuit (LM 04/09/2002, p. 25).

L’hydraulique, la plus ancienne des filières de l’électricité, est de loin la plus importante et la plus prestigieuse des énergies renouvelables non polluantes. Cependant, elle nécessite des investissements lourds, pose de gros problèmes d’environnement — lors de la réalisation des barrages — par la modification du régime d’écoulement des eaux, bouleverse les contextes sociaux et écologiques (barrage Nasser sur le Nil ou des Trois Gorges en Chine). Enfin, les barrages peuvent se rompre (en moyenne un par an dans le monde), le dernier en date remontant au 04/06/2002 en Syrie (LM 07/06/2002, p. 4). Malgré tout, c’est un moyen de “ stocker de l’électricité ” immédiatement disponible, donc un partenaire précieux des autres types d’énergie renouvelable (voir PB 33, 34, 66, 47).

La géothermie est l’exploitation de la chaleur stockée dans le sous-sol, la température augmentant de 3°C tous les 100 m lorsqu’on descend en profondeur. L’extraction de cette chaleur n’est actuellement possible que si le sous-sol renferme des nappes d’eau. Entre 30°C et 100°C, elles servent à produire de l’eau chaude sanitaire. Au-delà de 100°C, la vapeur est récupérée pour produire de l’électricité. Troisième source d’énergie renouvelable dans le monde après la biomasse et l’hydraulique, la géothermie progresse lentement mais régulièrement. La France est le septième producteur mondial et le troisième européen derrière l’Allemagne et l’Italie (source ADEME).

Quant à la biomasse (la forêt essentiellement), il faut ajouter aux réserves faites ci-dessus les méfaits d’une exploitation abusive de la forêt. Ainsi, selon un rapport de la FAO, “ la surface des forêts naturelles dans les tropiques se réduit de 150 000 km chaque année ” (soit le quart de la superficie de la France) (LM 12/04/2002, p. 28). Le bois est-il toujours une énergie renouvelable ?

D’autres exploitations de la biomasse sont possibles, comme la production de carburants issus des biotechnologies. Les États-Unis, soucieux de leur indépendance énergétique à long terme, s’y sont attelés (LM 10/09/2002, p. 1). Notons enfin qu’un développement massif de la biomasse engendrerait des besoins en eau non moins massifs, le nouveau problème ainsi créé égalant en importance celui que l’on veut résoudre.


La question la plus importante reste la place que prendront les énergies renouvelables dans le futur. Le débat est ouvert, mariant objectifs assignés (sur quelle base ?), incitations à ceux qui tentent le pari et mesures coercitives. Ainsi :

- une directive de la commission européenne a fixé à 21% la part d’électricité en provenance des énergies renouvelables pour 2010 (LM 03/04/2002, p. 26) ;

- la France garantit à tous les producteurs d’électricité renouvelable un prix d’achat d’environ 0,08 €/kwh pendant les cinq premières années d’exploitation — le prix de revient du kwh nucléaire est 0,03 € (LM 03/04/2002, p. 26) ;

- en 2050, le potentiel des énergies renouvelables (hydraulique et bois exceptés) pourrait atteindre, selon un rapport publié par le World Energy Council, entre 10 et 20% des ressources énergétiques, mais au prix d’“ une très forte taxation de l’énergie et d’une aide économique massive aux pays en voie de développement. On est aux antipodes de la politique qui consisterait à laisser faire les forces du marché. ” (PB 37)

L’hydraulique ayant pratiquement atteint son plein développement dans les pays riches, l’axe d’effort est de réduire le coût du solaire et de la filière éolienne et de développer raisonnablement la biomasse.

Pollutions et effet de serre

La terre émet de l’énergie : énergie reçue du soleil et réémise par la terre sous forme de rayonnement infrarouge, chaleur émise par le cœur brûlant de la terre vers les espaces galactiques et chaleur dégagée par les activités humaines dont l’ordre de grandeur est celui de la précédente (GC 15). Une partie de cette énergie est partiellement conservée dans les basses couches de l’atmosphère : c’est l’effet de serre.

“ Sans cet effet de serre, la température moyenne à la surface de la terre serait de –18°C au lieu de +15°C que nous connaissons. Les principaux gaz contribuant à l’effet de serre sont le gaz carbonique et la vapeur d’eau. L’accroissement de la teneur d’autres gaz moins abondants a autant de conséquence que l’accroissement de la teneur en gaz carbonique. L’augmentation de l’effet de serre entraînant une lente évolution de la température moyenne de la terre pourrait avoir à long terme, des conséquences graves sur le climat, la végétation et la fonte des glaces polaires. ” (Duruphty, Cours de chimie 12ère S - Hachette 1994, p. 175) On notera le conditionnel de mise chez les scientifiques sérieux qui estiment que la preuve des conséquences du réchauffement n’est pas sûre. Cependant, il vaut mieux prévenir que guérir. La sonnette d’alarme a été tirée lors des conférences de Kyoto en 1997 et de Buenos Aires en 1998 (PB 61). Les principaux accusés sont les combustibles fossiles (charbon et pétrole) dont la combustion émet en abondance du gaz carbonique. Le gaz naturel (méthane) et le gaz liquéfié (GPL) “ apparaissent comme des solutions beaucoup plus protectrices de l’environnement ” mais avec de nombreuses réserves (voir PB 64). Le prix d’excellence revient à l’énergie nucléaire dont la production ne s’accompagne d’aucune émission de gaz à effet de serre. L’effet de serre étant un problème planétaire ne peut être combattu que par des accords globaux. Dans cette affaire, les pays pauvres peu consommateurs d’énergie ne s’estiment nullement concernés. L’exemple devrait venir des pays riches. Hélas, “ avec leur refus persistant de se plier à une discipline planétaire sur l’émission de gaz à effet de serre, les États-Unis offrent un modèle parfait de l’égoïsme aveugle qui préside aujourd’hui à l’exploitation des ressources de la terre ” (GC 12).

Par contre, les pays pauvres sont surtout concernés par le phénomène de pollutions locales, régionales ou continentales, qui sont pour eux des problèmes beaucoup plus urgents. La pollution locale résulte de la “ conjonction d’une géographie particulière et de la pollution automobile ” (PB 108). C’est, par exemple, le cas dans la cuvette de Mexico (2300m d’altitude) entourée de montagnes à 3000m et abritant environ 20 millions d’habitants, le quart de la population du Mexique. Les pollutions régionales se traduisent par des pluies acides s’accompagnant du dépérissement de la faune et de la flore et dues aux émissions d’oxydes de soufre et d’azote (PB 59, 109). Enfin, beaucoup plus inquiétantes sont les pollutions continentales. C’est le cas du gigantesque “ nuage brun ” qui recouvre une grande partie de l’Asie (Inde, Birmanie, Chine, Corée, Japon). D’une épaisseur de trois kilomètres, il résulte de la combustion du bois, du charbon et du fuel (LM 15/08/2002, p. 13). Ce nuage perturbe le climat, la végétation et a des effets sanitaires très négatifs.

Pour la plupart de ces problèmes des solutions existent, mais d’autant plus difficiles à mettre en œuvre qu’elles coûtent cher et que les pays concernés sont pauvres. Il n’existe pas de solution industrielle pour piéger le gaz carbonique émis par les installations existantes (PB 72). Son élimination par photosynthèse (production d’oxygène à partir de gaz carbonique par les plantes exposées à la lumière solaire) est une réaction lente qui dépend de l’ensoleillement, de la végétation…, de la bonne volonté du gaz carbonique de se rendre sur les lieux de la réaction et qui est déjà prise en compte pour considérer le bois comme une énergie non polluante. Les seules voies possibles sont les économies d’énergie, “ le remplacement de la source d’énergie par une autre rejetant moins de CO2 ” (PB 72) — développement des transports par traction électrique par exemple —, détermination des rejets auxquels chacun a “ naturellement ” droit (voir PB 75 à 79) et enfin taxation des rejets (PB 73). Pour les oxydes de soufre et d’azote, il est possible d’en réduire les émissions au prix d’investissements très lourds que les Allemands n’ont pas hésité à entreprendre alors que la Chine, grosse consommatrice de charbon, est loin du compte (PB 59). À tout cela, il faut ajouter les accidents dont le charbon et le pétrole sont à l’origine : accidents dans les mines, marées noires, incendies de raffineries, etc.

Tout ceci justifie l’engouement pour les énergies renouvelables, la position qui consiste à intégrer le coût des nuisances induites à celui des énergies polluantes et la prudence qu’il convient d’avoir avant de dire au nucléaire : “ Fontaine, je ne boirai pas de ton eau. ”

L’électronucléaire

Pour des raisons techniques, la seule utilisation possible du nucléaire est la production d’électricité et, pour aboutir à un prix raisonnable du kWh, les centrales doivent avoir une taille suffisante. Donc, quand on parle de nucléaire, il ne peut s’agir que de l’électronucléaire. Dans l’état actuel des économies et des techniques, la hantise du “ tout nucléaire ” ne concerne donc au niveau mondial que 34% de la consommation totale d’énergie. Ce ratio n’est pas figé, il évoluera avec la part que prendra l’électricité dans le futur, qui elle-même conditionnera la part revenant au nucléaire.

En s’appuyant principalement sur le cas français (80% de l’électricité provient du nucléaire), cas exemplaire à bien des égards, on peut attribuer à l’électronucléaire les avantages suivants :

- le nucléaire s’est substitué au pétrole importé pour la production d’électricité mais aussi pour de nombreuses consommations directes de pétrole (chauffage, eau chaude, procédés industriels…). Tout ceci a contribué à une progression spectaculaire de l’indépendance énergétique ;

- le kWh électronucléaire (“ coûts externes ” compris incluant le traitement et le stockage des déchets radioactifs et le frais de démantèlement des installations) est maintenant tout à fait compétitif vis à vis des approvisionnements électriques issus d’autres énergies. Que la France exporte de l’électricité en est la meilleure preuve ;

- l’électronucléaire n’entraîne aucune pollution atmosphérique, aucun effet de serre.

Passons sur l’aspect franchement inesthétique des gigantesques tours de réfrigération atmosphérique et venons-en aux points les plus sensibles du débat :  la radioactivité, les déchets, les accidents.

En ce qui concerne la radioactivité, trois points essentiels méritent l’attention :

- il n’y a aucune différence entre la radioactivité naturelle et la radioactivité artificielle ;

- les êtres humains sont soumis en permanence à une radioactivité naturelle en provenance de leurs propres corps, des rayonnements cosmiques, des matériaux de l’écorce terrestre (granite), des radioéléments présents dans l’air, dans l’eau, dans les aliments ;

- les dispositions pour assurer la sécurité du personnel exposé aux radiations artificielles ont fait l’objet de longues, minutieuses et exhaustives investigations de la part des médecins (et tout particulièrement du professeur Maurice Tubiana), indépendamment de tout aspect industriel ou économique. Elles sont appliquées avec la plus grande rigueur et c’est à juste titre que l’on considère que le culte de la sécurité est exemplaire dans le nucléaire.

Trois unités permettent de caractériser la radioactivité :

le Becquerel (Bq), qui caractérise le nombre de désintégrations par seconde mais qui ne tient pas compte de la nature du rayonnement ;

le Gray (Gy), utilisé pour mesurer la quantité d’énergie reçue par unité de masse irradiée ;

le Sievert (Sv), qui mesure l’effet des radiations sur les organismes vivants et prend en compte la nature et l’intensité des rayonnements.

La radioactivité naturelle du corps humain est de l’ordre de “ 6000 becquerels […]. Notre environnement naturel, la terre et le ciel, nous en octroie généreusement au moins 20 fois plus ” (GC 19). Quant à la dose annuelle naturelle moyenne par habitant en France, elle est de 2,4 millisievert (mSv), se décomposant en 1,6 mSv inhalé (radon) ou absorbé (potassium) + 0,4 mSv par rayonnement cosmique + 0,4 mSv en provenance du sol. À ceci, il faut ajouter 1 mSv (radiographie médicale) et 0,1 mSv (dont 0,02 en provenance de l’industrie nucléaire) pour les irradiations d’origine industrielle (PB 94, 95). Localement, cette dose naturelle moyenne atteint des pics beaucoup plus élevés : jusqu’à 10 mSv dans certains endroits en France, 50 mSv en Iran ou en Inde.

Pour tout produit toxique il existe un seuil en dessous duquel le danger est nul. Au départ, et par précaution, cette notion n’a pas été prise en compte pour la radioactivité. Cependant, après plusieurs décennies d’investigation, la notion de seuil peut également être prise en compte pour la radioactivité et est de l’ordre de 300 mSv. Et pour le cancer de 100 à 200 mSv selon le type de cancer et l’âge.

Venons-en aux déchets, “ talon d’Achille du nucléaire ” (PB 169). Outre leur toxicité chimique éventuelle, les déchets issus des réacteurs nucléaires sont radioactifs, leur radioactivité décroissant de moitié en un laps de temps appelé “ période ” ou “ demi-vie ”. “ Ainsi 99% des produits issus de la fission de l’uranium et du plutonium auront disparu au bout de moins de trois cents ans. C’est la raison pour laquelle on considère que le problème des déchets nucléaires concerne avant tout le 1% restant des produits de fission et des actinides… ayant… des demi-vies de vingt mille à plusieurs millions d’années ” (PB 86). Que faire de ces derniers déchets ? Destruction partielle par fission dans les réacteurs à neutrons rapides (PB 87), conditionnement par fusion dans du verre, confinement dans des containers métalliques, enfouissement en surface avant une transmutation nucléaire ultérieure, enfouissement en profondeur ? (voir GC 177) “ La loi Bataille du […] 30 décembre 1991 votée à la quasi unanimité du parlement […] définit les grandes lignes des programmes de recherche et développement qui devrait permettre au Parlement de fixer les grandes orientations de gestion des déchets en 2006. ” (PB 90, 91)

L’analyse systématique des incidents d’exploitation — et les mesures correctives en résultant — mise en place après le grave accident de Three Mile Island aux États-Unis en 1979 n’a malheureusement pas empêché la catastrophe de Tchernobyl en Ukraine en 1986. C’est elle qui a conduit “ une échelle de gravité des événements ” (PB 139). Ce sont des erreurs humaines qui sont à l’origine de la fusion des réacteurs. Dans le cas de Tchernobyl, il faut y ajouter des erreurs de conception (instabilité intrinsèque, système d’arrêt qui a au contraire emballé la réaction…), qui ont amplifié les conséquences des erreurs humaines.

Dans le premier cas l’enceinte de confinement a retenu les radiations ionisantes et il n’y a eu aucune perte humaine, alors qu’à Tchernobyl le réacteur était dépourvu d’enceinte de confinement. On connaît la suite… Rappelons qu’en 1986 Tchernobyl était en URSS et que l’une des causes de l’accident résulte d’un essai mal préparé depuis Moscou, sans concertation préalable (Laurent Stricker, La Jaune et la Rouge 3, novembre 2001, p. 51).

Il incombe donc “ aux exploitants […] d’analyser systématiquement le moindre incident, de détecter les entorses éventuelles à la culture de sûreté […], d’intégrer l’amélioration des connaissances dans les méthodes d’exploitation […], dans la conception des installations ” (PB 54, 55). Le projet de réacteur EPR qui bénéficie des retours d’expérience franco-allemands, qui est prêt à être engagé, est un bon exemple de cette attitude.

On ne saurait quitter le nucléaire sans dire un mot des surgénérateurs à neutrons rapides produisant plus de matière fissile qu’ils n’en consomment (ainsi la centrale prototype Phénix tourne aujourd’hui avec du combustible fabriqué à partir du plutonium produit par Phénix) et aptes à traiter les déchets issus des réacteurs classiques. Ils présentent deux très gros avantages par rapport à ces derniers : la proportion d’uranium effectivement utilisée dans la production d’énergie qui passe de 1% à 60%, conjuguée à un rendement thermique plus élevé (dû à l’utilisation du sodium dans le circuit primaire), permet pour un kilo d’uranium naturel de passer d’une production de 45 000 kWh à 5 000 000 kWh (fiche EDF, le surgénérateur). Dans ces conditions, on ne peut que regretter l’arrêt définitif (pour des raisons ne concernant ni la sécurité, ni des contingences industrielles) du surgénérateur Superphénix (voir PB 141 à 149).

Enfin, la guerre de tranchées que les antinucléaires livrent aux électriciens du nucléaire ne prendra fin que quand les premiers se montreront plus objectifs et que les seconds seront irréprochables au plan de la rigueur et de la transparence, et ceci au niveau mondial. La dérive du Japon — dissimulant depuis plusieurs années les graves dysfonctionnements intervenus dans ses centrales nucléaires, dont celle de Kashiwazaki-Kariwa (la plus grande du monde) — ne va certes pas dans le bon sens (LM 10/10/2002, p. 6).

Les contraintes économiques

Il faut distinguer le cas des pays riches de celui des pays pauvres. En effet, c’est la confrontation directe entre les plus gros consommateurs (les riches) et les pays producteurs qui fixe les prix du marché sur lesquels les pays pauvres ne peuvent que s’aligner. Pour les riches, on se souvient des chocs pétroliers d’octobre 1973 et de 1979. “ La guerre du Kippour amène l’Arabie Saoudite à mettre à exécution ses menaces et à utiliser l’arme pétrolière. Le 16 octobre 1976, les membres de l’OPEP décident de fixer eux-mêmes les prix officiel du marché du brut arrêté jusque-là par les compagnies pétrolières. Le lendemain, les pays arabes vont encore plus loin et réduisent leur production pour forcer Israël à se retirer des territoires occupés. Embargo et pénurie organisée aidant, les prix du baril augmentent alors brutalement de 70%, passant de 3 à 5,12 dollars puis, en décembre, à 11,60 dollars. […] Ce premier choc clôt la période de croissance économique dite des trente glorieuses. Un deuxième choc en 1979, provoqué par la révolution iranienne, conforte l’idée selon laquelle les cours du pétrole sont engagés dans une spirale inéluctable de hausse au tempo réglé par l’OPEP. ” (LM 04/03/2002, p. 14) Au cours du baril s’ajoute le cours du dollar (la monnaie du marché pétrolier), le coût de l’argent (paramètre important pour les investissements lourds : nucléaire, solaire, éolienne, hydraulique). Rappelons au passage que c’est le loyer de l’argent qui a stoppé net le programme nucléaire américain en 1978 et non pas l’accident de Three Mile Island en 1979. Notons enfin que le faible coût du kWh produit par les centrales à gaz à cycle combiné reposait sur un cours du gaz naturel au plus bas, ce qui n’est plus le cas depuis deux ans (voir Jacques Bouchard, LM 11/04/2002, p. 20).

Les espérances technologiques

Les transports (traction électrique exceptée) sont entièrement tributaires du pétrole, source d’énergie à haute capacité énergétique mais polluante, inégalement répartie et qui, s’épuisant au fil des décennies, deviendra de plus en plus chère. Or les besoins en transport vont sans cesse croissant. Un des principaux défis technologiques du XXI siècle est donc de s’affranchir progressivement du pétrole pour assurer les transports autonomes. Continuer à réduire la consommation au kilomètre de nos voitures reste un objectif immédiat. D’autres solutions existent ou sont envisageables. Presque toutes consistent à remplacer le pétrole par l’électricité. Les progrès que nous accomplirons (en commençant par le développement des transports électriques par rail) augmenteront inéluctablement les besoins en électricité, donc en énergies renouvelables si elles sont compétitives, sinon en énergie nucléaire.

Pour les énergies renouvelables, il n’y pas de progrès spectaculaires à attendre du côté de l’hydraulique. L’effort doit porter sur les réductions des coûts des autres.

Les véhicules électriques (silencieux, non polluants, ayant des rendements supérieurs à ceux des moteurs thermiques) butent sur plusieurs obstacles :

- augmentation du poids dû aux batteries ;

- vitesse limitée ;

- autonomie réduite ;

- coût excessif.

L’utilisation exclusive de batteries pour produire l’électricité limite cette application à de petits véhicules légers utilisables en ville sur de courtes distances ou à des véhicules marginaux (véhicules utilitaires de livraison, chariots d’entrepôts, motoneiges, bicyclettes, voiturettes de golf…). Les quelques voitures électriques de La Rochelle et de Belle Île resteront certainement une exception. La voiture hybride est techniquement plus satisfaisante. Le modèle développé par Renault comporte deux moteurs synchrones à courant alternatif, commandant chacun une roue, alimentés par des batteries au cadmium nickel capables de supporter de fortes puissances et des cycles fréquents de charge/décharge. En ville, seule la batterie est utilisée : pas de pollution. Sur route, les batteries sont alimentées par une turbine thermique à très grande vitesse fonctionnant au gasoil, entraînant un alternateur. La vitesse atteinte est celle des voitures à essence. Parfait, sauf le prix (voir Renault, R. D. n°1, p. 26, 27).

Une voie éventuelle est la voiture électrique où l’électricité est fournie par pile à combustible fabriquant du courant à partir de flux continus d’hydrogène et d’oxygène gazeux. Un tel véhicule (par exemple le Hy-wire développé par General Motors ; LM 24/09/2002 p. 1 et 16) consomme environ 1 kilo d’hydrogène aux 100 km, le pot d’échappement ne rejetant que de la vapeur d’eau. Son développement se heurte à de grosses difficultés techniques : poids du dispositif de stockage de l’hydrogène, utilisation de platine et de polymères conducteurs pour les piles, rendant le tout très cher et très lourd. Reste le problème de la production d’hydrogène. La production d’hydrogène par craquage du gaz naturel engendrerait plus de pollution qu’elle n’en résorberait. Restent l’électrolyse (ce qui nécessite de l’électricité…) ou les réacteurs nucléaires à caloporteurs gaz (RCG) sur lesquels le CEA travaille. Ces réacteurs permettraient d’utiliser la chaleur produite à 800°C pour décomposer l’eau et produire ainsi l’hydrogène. Ces nouveaux réacteurs de plus faible puissance que les gros réacteurs classiques permettraient un meilleur maillage du réseau électrique et le recyclage des déchets à vie longue par transmutation. Enfin, notons que l’utilisation massive de piles à combustible conduirait à une consommation massive d’oxygène. Or, il n’existe pas pour la vapeur d’eau de réaction naturelle permettant de régénérer l’oxygène consommé (c’est-à-dire l’équivalent de la réaction de photosynthèse pour le gaz carbonique), d’où un risque qui serait quasiment nul si, par exemple, l’hydrogène était produit par électrolyse, l’électricité nécessaire étant fournie par du nucléaire ou des énergies renouvelables et si l’oxygène produit simultanément était rejeté à l’atmosphère.

La fusion thermonucléaire contrôlée (combinaison de deutérium et de tritium, isotopes de l’hydrogène) n’est pas pour demain mais serait extrêmement prometteuse si elle aboutissait : l’énergie dégagée par un gramme de mélange deutérium-tritium étant équivalent à l’énergie dégagée par la combustion de 10 000 litres de pétrole (fiche EDF, La fusion thermonucléaire). Pas de produits de fission, pas de déchets à traiter, pas de risques majeurs du fait que les quantités mises en jeu lors de la réaction sont limitées. Sans entrer dans les détails, notons toutefois que la fusion entraînerait un énorme problème de gestion quotidienne de la radioactivité. La fusion contrôlée n’est possible que dans des conditions de confinement, de vide et de températures très élevées. Parmi les projets en concurrence pour atteindre ce but, citons le projet ITER développé à Cadarache et qui espère déboucher vers 2010.

Somme toute, la porte des espérances technologiques est étroite. S’ouvrira-t-elle sur une voie royale ?

Le poids des acteurs

Outre les politiques impliqués à tous les stades où l’énergie est en cause, les acteurs intervenant dans les problèmes de l’énergie sont multiples. Les coûts des énergies primaires résultent de la confrontation permanente des pays producteurs et des pays consommateurs. Lorsque les producteurs sont réticents, la sécurité et la continuité des approvisionnements dépend du poids politique et militaire de l’acheteur. Certains n’hésitent pas à faire les gendarmes. Enfin, vu leur importance, les choix techniques font l’objet de débats souvent vifs entre investisseurs, industriels et citoyens. Dans ces débats, les médias jouent un rôle de plus en plus important.


Les pays producteurs (pétrole et gaz) sont tiraillés entre deux politiques contradictoires : fermer les robinets pour ne pas faire baisser les cours, sans perdre de parts de marché dans un contexte de forte demande, ou bien ouvrir en grand les vannes, le montant des ventes résultant de parts de marché accrues compensant largement la baisse des cours. L’Arabie saoudite, prépondérante au sein de l’OPEP, a le plus souvent cherché à sauvegarder les cours. Mais la forte baisse de la demande consécutive aux chocs pétroliers, puis une baisse chronique de ses revenus financiers (en l’espace de vingt ans le revenu pétrolier annuel par Saoudien est passé de 24 000 dollars à 2600 dollars — LM 04/03/2002, p. 14) ont assoupli sa position. À l’opposé, la Russie, dont le secteur pétrolier a été privatisé dans le milieu des années 90. Les banquiers qui ont investi dans ce secteur sont pressés d’en récupérer les fruits et espèrent que la production passera de 9% à 15 à 20% de la production mondiale. Pousser les exportations au maximum, reconquérir des parts de marché, tout ceci va à l’encontre des restrictions imposées par l’OPEP (voir LM 22/03/2002, p. 23 et LM 08/04/2002, p. 21).

Cette situation profite aux consommateurs, le premier d’entre eux étant les Etats-Unis (consommateurs du quart de la production mondiale de prétrole : LM 24/09/2002, p. 11), mais reste et restera toujours fragile. Les économistes considèrent que toute flambée persistante du cours du brut “ compromettrait la reprise, bien engagée, de l’économie mondiale ” (LM 14/04/2002, p. VII). Face à sa dépendance vis à vis des producteurs, un pays comme les États-Unis n’hésite pas à “ contrôler les pays producteurs et les voies de transport ” et à jouer “ le rôle de chien de garde à proximité des gisements du Proche Orient ” (PB 31, 47). Ainsi, les pressions exercées actuellement par les États-Unis sur l’Irak (deuxième réserve mondiale de pétrole) sont évidemment en partie motivées par le souci “ d’augmentation de la production énergétique dans le monde entier ” car “ c’est fondamental pour l’Amérique ”, selon le secrétaire américain à l’énergie (le 18/09/2002 — LM 20/09/2002, p. 3). L’article très musclé de Bernard Le Gendre (LM 22/09/2002, p. 1 et 12) intitulé “ La croisade antiterroriste sent le pétrole ” est sans équivoque à ce sujet. Par contre, le contrôle des voies de transport va devenir vraisemblablement une nécessité après l’attentat dont a été victime le pétrolier français “ Limburg ” le dimanche 6 octobre 2002 au large du Yémen (LM 12/10/2002, p. 3).

Chez les investisseurs, à qui il importe de faire le choix dans la palette des énergies, on retrouve aussi un large éventail de comportements :

- les premiers chercheront à offrir aux utilisateurs le meilleur service qualitatif et quantitatif (principalement les investisseurs publics des états riches et démocratiques) ;

- d’autres (surtout les investisseurs privés) se soucieront de la rapidité du retour d’investissement, éliminant de ce fait les énergies renouvelables (au coût actuel) et le nucléaire ;

- d’autres, avides de conquêtes de parts de marché, multiplieront les participations financières dans les entreprises de leur secteur, l’argent ainsi utilisé n’étant plus disponible pour les investissements industriels. C’est par exemple le cas d’EDF, implantée dans dix-neuf pays au prix d’un endettement d’environ 7 milliards d’euros (le tiers de l’endettement de 22 milliards d’euros, fin 2001, signalé par LM du 15/09/2002, p. 14), entraînant ipso facto une “ pause dans les investissements ” ;

- quant à ceux qui succomberaient à la tentation de la corruption, ils fausseraient complètement les choix.

Dans ce contexte, la décision du 24 mai 2002 de la Finlande de se doter d’un cinquième réacteur nucléaire est significative à double titre : vote du parlement et bien sûr la nature du choix. (Belle opportunité pour le numéro un mondial, le français AREVA, pour promouvoir le projet franco-allemand EPR : LM 06/06/2002, p. 20).

Quant aux industriels de l’énergie (ou d’autres secteurs), leurs devoirs sont multiples : récolter les commandes, les exécuter avec soin (ce qui nécessite savoir-faire et potentiel), dialoguer avec les futurs utilisateurs et les convaincre de la pertinence des choix. Obtenir une commande de l’importance d’un réacteur nucléaire n’est pas une mince affaire. Faire le projet, proposer des variantes, déterminer les prix, justifier les performances et la sécurité, monter le financement, négocier un contrat équitable, assurer de bonnes conditions de fabrication, de montage, de mise en service, d’exploitation agréées par le client, s’entourer de protections juridiques, obtenir l’accord final..., tout ceci n’est pas facile et y parvenir nécessite persévérance et talent. Envelopper l’ensemble de ces démarches sous le terme de lobbying n’est pas honnête.


Tout aussi important est le dialogue avec les citoyens qui approuveront (ou non) les choix possibles s’ils les comprennent. La tâche d’informer appartient à ceux qui en ont la capacité. Elle demande un effort de tous. Que les ingénieurs soient simples, qu’ils répondent aux questions de leurs concitoyens, qu’ils élargissent le débat. Que les élus, enfin avides de culture scientifique, technique, industrielle, économique, financière, juridique, sociale, entrent dans le cœur des problèmes. Que les citoyens reconnaissent que les grandes questions sont complexes, qu’il faut en voir tous les aspects, qualitatifs et quantitatifs, qu’il faut hiérarchiser les objectifs et les risques pour finalement trancher. Ces conditions, nous le savons, sont rarement réunies, ce qui aboutit parfois à des décisions contestables ou à pas de décision du tout. Parfois la faute en incombe aux citoyens eux-mêmes. L’incapacité ou la volonté délibérée de certains groupes de citoyens de ne considérer que le seul aspect des choses qui leur convient, à donner une image fausse des réalités qui ne vont pas dans le sens choisi pèse malheureusement de plus en plus lourd dans la balance et il n’est pas étonnant que des citoyens responsables commencent à réagir énergiquement. Ainsi on lira avec intérêt le Devenez sorciers, devenez savants de Georges Charpak et Henri Broch, vigoureux plaidoyer pour la maîtrise de la culture scientifique, pour la lutte contre la misère, un cri d’alarme face au remplacement progressif de la raison par la sensation, contre l’ignorance et la peur utilisées comme levier politique, contre les fausses croyances etc. La classe politique, qui est formée aux sciences humaines et aux sciences sociales, mais qui pense pouvoir se passer de connaissances et de raisonnements scientifiques, y est directement interpellée. D’un autre côté, des citoyens attentifs, soucieux de comprendre, d’agir au mieux, de créer un développement durable harmonieux. Certains de leurs représentants étaient à Rio de Janeiro en 1992 et à Johannesburg en 2002. Écoutons-les. Aidons-les sur le chemin de la solidarité.

Dernier acteur et non le moindre : les médias, qui peuvent tout à la fois bien informer ou manipuler l’opinion, chercher le sensationnel et semer le doute ou fournir des éléments d’appréciation permettant de juger, hiérarchiser, décider.


Donc, des acteurs multiples, de poids différents, dont la vertu est à géométrie variable, ayant des motivations différentes (certaines n’ayant rien à voir avec l’énergie) et cependant tous en scène essayant de concilier diversité et complémentarité.

Les scénarios du futur

De nombreux scénarios sont possibles. Ils se différencient par la nature et l’importance des facteurs mis en jeu. Certains facteurs sont inéluctables : croissance de la population, croissance des besoins (au moins dans l’immédiat : voir PB 20), épuisement des énergies fossiles. Reste à savoir à quelle vitesse ils interviendront. D’autres facteurs sont plus aléatoires. Il s’agit :

- de l’évolution technologique, et tout particulièrement dans le domaine des transports tributaires d’une énergie à haute capacité spécifique, facilement stockable et transportable, le tout à un coût raisonnable. L’hydrogène émergera-t-il ? Avec quelle énergie sera-t-il produit ?

- des coûts : question cruciale pour les énergies renouvelables (solaire, éolienne et biomasse) tant que les cours des énergies fossiles sont aussi bas qu’actuellement ;

- des comportements : faire la chasse au gaspillage, développer les économies, limiter les transports, réduire et taxer les émissions de gaz à effet de serre, vouloir un partage équitable entre riches et pauvres… ou bien assurer confortablement ses propres besoins ou encore sortir du nucléaire, car seul le risque zéro est acceptable.

Enfin il y a les facteurs imprévisibles entraînant des “ ruptures telles que celles qui ont conduit aux chocs pétroliers des années soixante-dix ” (PB 11).

Nous nous limiterons au survol de trois scénarios :

- Laisser faire la loi du marché sans toucher aux pratiques actuelles. Un beau matin le prix du pétrole devenu rare s’envolera. Les transports deviendront hors de prix. La mondialisation s’écroulera. Une grave crise économique s’installera. Nous serons allés droit dans le mur ;

- Le scénario écologiste (limiter l’effet de serre, sortir du nucléaire, assurer les besoins de tous) est qualitativement intéressant. Il s’appuie sur une vraie volonté de réduite les consommations et il suppose — le nucléaire étant banni — une forte émergence des énergies renouvelables non polluantes (solaire et éolienne) qui sont des sources intermittentes d’énergie. Il faut donc les considérer comme des sources d’appoint associées à une source d’énergie de base disponible à tout instant : c’est le gaz dont le prix est supposé rester très bas et auquel il faut intégrer le coût des infrastructures à créer. Reste le problème des transports autonomes remplacés autant que possible par la traction électrique. Le tout étant complété par de fortes écotaxes sur les émissions de gaz à effet de serre. Malheureusement, ce scénario n’est pas capable d’assurer les besoins quantitatifs, tant s’en faut. Son coût serait complètement prohibitif dans l’état actuel des technologies et il ne ferait qu’aggraver la pénurie en énergie des pays pauvres, privés du gaz confisqué par les riches et peut-être même du pétrole devenu trop cher.

- Le scénario du cœur et de la raison essayant de concilier les attentes des plus démunis et une forte volonté de réduire leur consommation pour les plus riches. Il conduit à réserver, sans les taxer, les combustibles nécessitant peu d’investissements lourds (même s’ils sont à l’origine d’émission de gaz à effet de serre) en priorité aux pays pauvres, et à fortement taxer ces mêmes combustibles dans les pays riches plus aptes à développer les énergies nécessitant des investissements lourds (nucléaire, hydraulique, solaire, éolien) ; et à promouvoir de nouvelles solutions technologiques (voir PB 171 à 173). Scénario beaucoup plus réaliste et surtout beaucoup plus soucieux de partager que le précédent, qui suppose une volonté de canaliser la loi du marché mais dont le point faible reste l’avenir des transports autonomes, avenir tributaire des progrès technologiques.

Poser les vrais problèmes, prendre parti et agir

Poser les vrais problèmes, c’est d’abord fournir aux “ gens […] les deux facettes de l’information ” (GC 205). C’est ensuite reconnaître que “ le droit au rêve ” ne prend toute sa valeur qu’accompagné du devoir de “ lucidité ” (GC 200). C’est pour les politiques, accepter la prise en compte des aspects scientifiques, techniques, industriels et financiers qu’ils soient qualitatifs ou quantitatifs. C’est reconnaître que parler de coût n’est pas rechercher la rentabilité à tout prix. C’est vouloir l’équité. C’est accepter des risques raisonnables. C’est lutter contre l’obscurantisme et ceux qui l’exploitent. Poser les vrais problèmes ne signifie pas de les prendre tous en charge simultanément. La première démarche est de les hiérarchiser. Pour ma part, je propose les priorités suivantes :

assurer l’équité d’accès à l’énergie ;

économiser ;

lutter contre la pollution ;

susciter les progrès technologiques.

(Développer ou réduire le nucléaire, gagner ou abandonner des parts de marché ? Questions secondaires vis à vis des objectifs principaux et pour lesquelles les réponses découlent des actions entreprises pour atteindre ces objectifs.)

J’ai donc choisi mon camp : c’est celui de la complémentarité entre les différents types d’énergie. Alors les énergies seraient-elles des amies mal aimées ? Non bien sûr, car toutes sont honorables.

Écrire n’est pas agir. J’espère qu’on me le pardonnera. Les vrais acteurs sont tout à la fois “ les écologistes de terrain proches de la nature, […] les hommes et les femmes qui ont développé le nucléaire, [qui] mènent le même combat en faveur de l’homme et de l’environnement […] Ils le font par des voies différentes ” (PB 173) qui loin de s’opposer se complètent.

Jean-François Dalloz (La Seyne-sur-Mer – 83)

Remerciements e

Je souhaite remercier très chaleureusement toutes celles et tous ceux qui m’ont aidé à rédiger cet article. En premier lieu Pierre Bacher à qui je dois l’essentiel des informations que j’ai pu collecter. Hervé Chevrant, Mireille et Humbert Chevrant, Laurent Payen, Agnès Dalloz qui m’ont aidé à préciser des points particuliers. Bernard Guy et Victor Bril, grâce à qui j’ai pu combler des lacunes. Et bien sûr Geneviève Le Hir et Bernard Berthier qui ont pris en charge la logistique et dont la passion de la perfection m’a conduit à de salutaires remises en cause.

J-Fr. D.


À propos du livre de Jean-Marc Jancovici L’avenir climatique. Quel temps ferons-nous ? (Le Seuil, mars 2002)

Améliorer un article est toujours possible. Cependant il faut bien le verrouiller un jour. Une lecture moins tardive du livre de Jean-Marc Jancovici L’avenir climatique. Quel temps ferons-nous ? (Le Seuil, mars 2002) m’aurait permis d’être beaucoup plus clair sur les conséquences prévisibles de l’effet de serre dans les cinquante années à venir. Pierre Bacher et Jean-Marc Jancovici ne sont pas des futurologues et pourtant leurs livres bien documentés, rigoureux, faciles à lire et parfaitement complémentaires posent très clairement les problèmes les plus importants auxquels le monde sera confronté au cours de ce XXI siècle. L’un et l’autre nous invitent à une forte remise en cause de nos comportements et de nos modes de vie. Ils préconisent l’effort de chacun, la solidarité, la modération de nos appétits de croissance matérielle. Pour eux, l’urgence est de “ sortir du fossile ” (pas du nucléaire). Leurs visions vont au-delà de l’énergie, du climat, de l’écologie. Construire un monde durable est leur objectif.

J-Fr. D.

1 École Nationale Supérieure des techniques avancées.

2 Voir les “ remerciements ” à la page 31.

3 Revue de l’amicale des anciens élèves de l’École Polytechnique.

e Où l’on rencontre beaucoup de noms de Cambusards… (Ndlr).