Michèle et François Guy :

Une vie pour faire rayonner le sens de la sexualité

et de l’amour conjugal

 

 

La Cambuse a déjà voulu aborder le thème de la sexualité. Sans parler de Doc Zonpi, qui s’est moqué un peu à la légère de la méthode Billings dans le n°8 d’avril 1998, le lecteur se souvient peut-être de l’entretien assez choquant pour des chrétiens que Françoise Rey, écrivaine érotique, nous avait accordé dans le n°13 d’octobre 2000. Plus anciennement (n°7 d’octobre 1997), Claire Genevet et Jean-Nicolas Trochet avaient abordé le sujet de la contraception en posant des questions. Quelques réponses, ou des éclairages intéressants pourraient venir de nos deux interlocuteurs d’aujourd’hui.

Notons que Michèle et François Guy sont les parents de Bernard Guy, notre géologue préféré ; et que Michèle est la sœur de Bernard Saillet, auteur d’un important article sur la restauration des terrains de montagne dans notre numéro 19. Merci de cette collaboration… dynastique !

 

Un dialogue avec des collégiens

Madame, qu’est-ce que vous pensez des rapports sexuels à notre âge ?

Et vous ?

Nous, on est tous pour.

Et avec qui ? Elles sont toutes d’accord, vos camarades ?

Oui.

Non, c’est pas vrai ! Je connais des filles qui ne sont pas d’accord.

Mais, Madame, vous vous trompez, les filles que vous citez là, elles sortent du siècle dernier !

Vous, qui venez de vous esclaffer, ça ne vous ferait absolument rien que celle que vous épouserez…

Parfaitement, je lui permettrai d’avoir eu des relations avant moi… une fois !

Une fois ?

Hum… D’accord, soyons honnêtes, ces filles, elles n’ont pas complètement tort…

Alors, avec qui avez-vous vos rapports maintenant ?

Madame, c’est la question…

Et Michèle Guy de creuser alors « la question » avec ce groupe de jeunes lycéens grenoblois, confirmants, qui reconnaissent : « Quand on est très amoureux, on se raconte tout, on met tout en commun, et on jauge ses flirts… et on se dit alors qu’on aurait pu s’en passer, de ces flirts. »

Mais, Madame, il ne faut pas dramatiser, si on est très amoureux, on se pardonne…

Ah ? On se pardonne ? C’est vous qui l’avez dit. Pourquoi pardonner, si c’était normal il y a cinq minutes ?

 Michèle Guy les entendra plus tard, au détour d’un couloir, commenter ainsi son intervention : « C’était une vieille, mais une vieille drôlement intéressante ! »

Depuis longtemps et jusqu’à ces toutes dernières années en effet, les docteurs François et Michèle Guy ont rencontré des jeunes pour parler avec eux de sexualité, d’amour, et de vie. Aussi, lorsqu’il dut céder à la grande déferlante de la mixité et admettre les filles à ses camps, le PDV leur demanda leur aide : il y eut des réunions chez eux, en 1974, et ils montèrent à un camp (les Orres 1973 ou les Sagnes 1974) 1.

Mais ces rencontres avec les jeunes ne sont qu’un des aspects d’un engagement fort et constant au service de la vie et du couple, et les trois heures que nous avons passées chez eux, ce samedi après-midi 23 novembre 2002, ne nous ont pas permis de faire le tour de leurs engagements 2. Il y aura donc peut-être une suite à ces lignes…

Aux origines

 Michèle et François Guy ont fait leurs études de médecine à Grenoble. Ils se sont fiancés en 1950, lors d’un pèlerinage étudiant à Rome sous la conduite du père Charles, pour l’année sainte. C’est le père Xavier Labonnardière, aumônier des équipes enseignantes, qui les marie. Il leur faut mener de front leur vie de jeunes parents, leurs concours de médecine — Michèle est enceinte lorsqu’elle réussit brillamment (major !) l’internat — et l’installation professionnelle de François comme oto-rhino laryngologiste :

M. G. : — À la fin de mes études de médecine, j’avais trois enfants. Quand j’allaitais, je déposais le bébé à l’infirmière de garde de l’internat. Mais sans mon mari, je n’y serais jamais arrivée. Il faut être deux. On est deux, dans un couple. Nous nous sommes épaulés sans relâche durant ces premières années — et nous n’avons pas cessé de le faire ! — : François me préparait des fiches pour m’aider dans mes révisions. Grâce à mon poste d’interne, j’ai fait bouillir la marmite parce que, au début, les clients ne se bousculaient pas au cabinet, François était là auprès des enfants…

 En 1956, après sa thèse, Michèle se met en disponibilité professionnelle, et donc en disponibilité pour des engagements de plus en plus prenants ! Elle a d’ailleurs conscience que bien des actions qu’ils ont menées ont reposé sur la présence active de femmes qui ne travaillaient pas professionnellement. Et qu’aujourd’hui, les données sociales ont changé.

Couples et familles, CLER

Avec une dizaine de couples appartenant au Centre de Préparation au Mariage (CPM), ils imaginent, en 1961, le Service de Documentation Conjugale de Grenoble, qui est devenu ensuite Couples et Familles. C’était une association loi 1901, non-confessionnelle ; dans le même temps, François et Michel, avec des équipes de CPM d’autres villes de France, fondent à Paris le CLER (Centre de liaison des équipes de recherche), groupement confessionnel rattaché à la Pastorale familiale. Ces deux organismes se sont développés parallèlement dans toute la France. Leur but premier était d’aider les couples dans leurs problèmes de fertilité et de réfléchir à tous les aspects de la vie du couple :

M. G. : — En quelque sorte, après s’être occupé de marier, il s’agissait d’assurer le service après-vente !

Bien sûr, notre statut de médecins nous a valu de nombreuses confidences sur les difficultés conjugales et les mésententes sexuelles. Très vite, nous nous sommes sentis démunis, manquant d’une formation psychologique et de méthodes.

 Deux événements clés vont tout accélérer : François, inlassable fouineur en librairies, tombe un jour sur Les problèmes du mariage, par les docteurs Balint, livre qui les enthousiasme aussitôt, tellement la démarche décrite par ces Anglais correspond exactement à ce qu’ils aspiraient à faire : conscients de tout le bienfait qu’on tire d’une cure psychanalytique, mais comprenant que cette démarche longue, coûteuse, ne pouvait pas s’adresser au plus grand nombre, les Balint s’attelaient à former des équipes d’assistantes sociales, se réservant la tâche de superviser leur travail 3.

C’est aussi la rencontre fortuite — mais là aussi, il faut savoir saisir la chance qui passe —, avec un couple de psychanalystes, les Ruffiot. Ils étaient venus consulter au cabinet de François pour leurs enfants, atteints d’otites. Ces derniers une fois soignés, François leur demande de les former à la fonction de conseiller conjugal, de leur apprendre l’écoute, suivant la méthode des Balint ; d’être leurs superviseurs. Cela durera vingt ans :

M. G. : — André et Suzanne Ruffiot nous ont formés gratis pro Deo à partir de 1962, une fois par semaine. Grâce à eux, nous avons appris l’écoute, indispensable pour être un vrai conseiller conjugal. Méfions-nous toutefois de ce terme, qui est trompeur : en conseil conjugal, on ne donne pas de conseil ! Balint avait lancé le counselling, le « tenir conseil ».

À Paris, dans le même temps, apparaît l’Association Française des Centres de Conseil Conjugal, avec aussi des psy, les Lemaire. Lui a écrit Le couple, sa vie, sa mort (un chapitre est joliment intitulé : « Le couple, ça vit, ça mord »). Un livre princeps, vraiment, qui ne cesse d’être réédité.

Par la suite, André Ruffiot a développé la thérapie familiale, persuadé qu’il ne fallait pas prendre en charge simplement le couple mais traiter toute la famille en même temps quand c’était nécessaire : ce qui était une idée plutôt novatrice pour l’époque.

Nous tenions nos permanences dans un local que nous avions loué quelques temps auparavant, parce qu’il s’était libéré, que nous avions déjà l’idée de créer quelque chose et qu’il nous avait semblé important de ne pas laisser s’échapper cette opportunité, sans savoir encore vraiment quand ce local nous servirait.

 Aujourd’hui (en 2002), Michèle collabore encore pour quelque temps à la formation des conseillères conjugales qui agissent au sein de l’association Couples et Familles de Grenoble. Elle apporte aussi depuis quarante ans sa collaboration aux sessions de formation nationale du CLER, mais va bientôt passer le relais.

Courbe thermique et glaire cervicale, ou la méthode d’auto-observation

Aujourd’hui encore, quand elle explique la MAO, cette méthode d’auto-observation naturelle qu’ils ont présentée dans tous les coins du monde, en Afrique et à l’île Maurice surtout, Michèle s’enflamme et tempête contre tous ceux qui continuent à vouloir la confondre avec la méthode Ogino :

M. G. : — Avec Ogino, c’est comme si vous lisiez sur le calendrier que l’an passé, le 14 juillet, il faisait beau. Donc vous pensez qu’il fera beau cette année… Ce n’est qu’un calcul de probabilités et tout le monde sait bien que ça rate !

Avec la méthode d’auto-observation, vous ouvrez le fenêtre le 14 juillet et vous regardez le temps qu’il fait aujourd’hui.

 Cette méthode consiste en effet à demander à la femme de s’observer, à partir de deux éléments, la température matinale, et la qualité de la glaire cervicale. On s’appuie donc sur la découverte princeps d’Ogino, en 1928, à savoir que la femme ovule deux semaines avant ses règles. Peu importe donc la durée globale du cycle, la deuxième partie du cycle, elle, durera deux semaines. Mais il reste donc à savoir déterminer à quel moment cette ovulation a lieu.

En 1936, Palmer, médecin français, observe qu’à partir de l’ovulation, la température s’élève de trois à quatre dixièmes de degré pendant toute la seconde partie du cycle. Or, un ovule n’est fécondable que douze heures.

Enfin, le médecin australien Billings et sa femme ont mis en évidence l’ouverture du col et la présence de sécrétion de glaire cervicale dans les huit jours qui précèdent l’ovulation, c’est-à-dire pendant la période fertile, complétant ainsi la méthode précédente dite des températures : pour une femme un peu entraînée, il suffit de prendre sa température une semaine par mois le matin au réveil, à partir du moment où la glaire apparaît, jusqu’au troisième jour de l’installation de la température à son niveau haut 4 :

M. G. : — Je n’ai jamais constaté d’erreur de la méthode pendant la seconde partie du cycle, c’est-à-dire celle de la température haute.

Bien sûr, cela suppose l’entente dans le couple : ça se fait à deux. Cela amène chacun à réfléchir sur la sexualité : il n’y a pas que les relations sexuelles dans la sexualité, il y a d’autres manières de manifester son attachement.

Car c’est une question de philosophie au point de départ, bien plus que de technique : il s’agit de réfléchir à la place et au respect de l’enfant dans la vie du couple, au respect des deux conjoints l’un pour l’autre ; de prendre du recul par rapport à soi-même mais aussi par rapport à la place de chacun dans le couple : l’homme, la femme, l’enfant.

F. G. : — Nous n’aurions pas consacré quarante ans de notre existence à parler de glaire cervicale et de courbe thermique ! Ça n’a d’intérêt que parce que, justement, ça permet d’aborder tous ces problèmes de couple qui sont sous-jacents 5, de rejoindre le couple dans ses difficultés. D’ailleurs, pour certains, l’abstinence passagère est excitante…, ou redonne sens, de même que ce sont les silences qui donnent sens à la parole.

Et cette philosophie n’est pas forcément réservée aux chrétiens, il s’agit d’une position humaniste et féministe.

M. G. : — Comme médecin, je n’ai rien contre le préservatif, mais contre la pilule… Les hormones naturelles féminines, elles sont utiles à la femme ! Or la pilule les supprime et les remplace par de moins bonnes. Pour preuve, il faut un suivi médical pour être sûr qu’il n’y ait pas de risque de thrombose ou d’embolie. On reconnaît bien les méfaits, et pourtant on fait comme si ne pas… C’est la technique américaine, on dit tout ce qui est mal, mais on le fait quand même…

Il faut respecter le capital de vie qui est dans la femme, et non l’annuler. C’est incroyable que la femme ait pu se sentir libérée de s’annuler ainsi !

On critique moins aujourd’hui les méthodes d’auto-observation parce qu’on sait que c’est valable, mais, hélas, la pilule a gagné : l’argent qui a été mis dans la pilule fait que maintenant le cycle normal, c’est celui de la pilule…

Heureusement le livre « Quinze questions à l’Église. — Un évêque répond » (Mame-Plon — 2003), de Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Tours et responsable de la commission épiscopale française de Pastorale Familiale, fait remarquablement le point de la question 6.

L’île Maurice

Il serait trop long de relater ici dans le détail par quelles voies — la demande de Monseigneur Margeot, assortie de deux bourses de deux ans — Michèle et François Guy se retrouvèrent, de 1964 à 1966, à l’île Maurice. Mais ce fut là pour eux une expérience essentielle dont ils ont rendu compte dans un livre Île Maurice, action familiale et régulation des naissances.

À cette époque-là, après l’éradication du paludisme vers la fin des années cinquante, la surpopulation à l’île Maurice était un véritable drame, mais la politique gouvernementale qui cherche à enrayer cette démographie galopante en diffusant la contraception artificielle heurte culturellement les Mauriciens, hindous, musulmans et catholiques. Le Planning familial, qui axe sa campagne sur la dévalorisation de la fertilité, trouve ainsi peu d’écho auprès des familles.

Michèle et François, eux, valorisent l’enfant, en parlant d’abord non de limitation, mais d’espacement des naissances :

M. G. : — C’est tellement beau un enfant que ça vaut vraiment la peine d’attendre un peu avant d’avoir l’autre…

Ils expliquent qu’on peut différer l’enfant suivant par la connaissance du cycle de la femme, sans recourir à des moyens mécaniques ou chimiques. Aussi sont-ils bien accueillis sur l’île. Ils peuvent compter sur l’appui des réseaux des équipes Notre-Dame, et d’autres mouvements d’action catholique dans lesquels ils puisent les premiers cadres et éducateurs de l’Action Familiale (organisme fondé dès mars 1963 par Mgr Margéot, et visité une première fois en août 1963 par François et Michèle). Pendant les deux années de leur séjour, François structure solidement le travail (quatre cents éducateurs issus de toutes les communautés, hindoue, musulmane et catholique, seront ainsi formés), tandis que Michèle, qui a rapidement appris le créole, multiplie les rencontres avec les Mauriciennes, vite heureuses de ne plus rester dans l’obscurité de l’ignorance... 7

F. G. : — Si enthousiasmante soit-elle, il faut bien se dire tout de même que l’expérience de Maurice n’est pas transposable partout : ici, les gens étaient motivés à cause du problème réel de surpopulation, et nous avons eu réellement deux ans pour travailler, avec des aides diverses innombrables.

Des spécialistes du couple écoutés

En 73, le Professeur Malinas propose à Michèle un poste de gynécologie médicale vacataire et la responsabilité du centre de planification de la maternité de l’hôpital de Grenoble, fonctions qu’elle ne quittera que vingt ans plus tard, atteinte par la limité d’âge.

M. G. : — J’ai beaucoup aimé ce poste : travail varié et passionnant, avec une équipe de sages-femmes ; préparation à la naissance, et surtout à l’allaitement ; suivi médical des grossesses ; entretiens avec les accouchées ; information des consultantes, souvent des jeunes filles, sur les problèmes de sexualité et de contraception ; cours aux externes du service ; conseil conjugal ; et, bien entendu, suivi des femmes qui le demandaient pour la régulation naturelle des naissances.

Il faut dire à ce sujet que mes collègues ne s’intéressaient pas du tout à ma démarche, sauf lorsqu’ils n’avaient pas d’autres solutions, et qu’il leur était impossible de recourir à la pilule ou au stérilet. Alors, ils m’envoyaient leurs patientes ! Et après, ils s’étonnaient souvent de mes résultats. Et pourtant, c’est simple. Mais expliquer le cycle, expliquer ce qu’est un col fermé ou ouvert, et comment le reconnaître, c’est une heure et demie ; une ordonnance de pilule, c’est cinq minutes… J’ai également régulièrement accueilli, pendant ces vingt années, au centre de planification, des stagiaires conseillères conjugales en formation et ce travail hospitalier m’a beaucoup aidée dans mon activité de formateur 8, au CLER, et à Couples et Familles. Enfin, mon expérience de conseillère conjugale m’a permis d’écrire un petit livre Le couple et son histoire (aux éditions du Cerf), où je suis l’aventure du couple tout au long de sa vie.

François, qui occupe alors un emploi de « saisonnier » à Uriage en tant que médecin thermal, parcourt le monde, l’Afrique tout particulièrement.

Il fonde avec sa femme, et avec les représentants de groupes similaires à l’Action Familiale et au CLER sur les cinq continents, une association interna­tionale à Washington qui a duré vingt ans (1974-1994). Cette Fédération Internationale d’Action Familiale (FIDAF) était subventionnée par les gouvernements américains et canadiens qui cessèrent leur aide en 1994… mais un tel réseau mondial de diffusion de la régulation naturelle des naissances et d’amitié continue d’exister, malgré l’absence de secrétariat, et l’Afrique a même relevé le flambeau, puisqu’il existe depuis un an la FAAF, ou Fédération Africaine d’Action Familiale, dont la présidente est une Mauricienne. La FAAF a envoyé une déléguée aux fêtes des quarante ans de l’Action Familiale, pour souligner l’aide précieuse apportée par cette dernière à l’Afrique depuis plus de trente ans.

Le synode

En 1978, un an avant qu’il ne devienne pape, le cardinal Wojtila les rencontre à un congrès à Milan où ils étaient invités à parler de leur expérience. Il dit à François et Michèle qu’il a leur livre sur Maurice dans sa bibliothèque.

En octobre 1980, lors du synode à Rome sur la famille, ils sont invités par le Pape en tant qu’« adjutores » : c’est là un honneur et une responsabilité que l’on jugera mieux si l’on sait qu’ils furent les seuls laïcs experts ainsi appelés à s’exprimer, les autres couples n’ayant que le titre d’« auditores ».

C’est ainsi qu’ils firent une conférence devant le Pape et consorts pour parler de la fertilité de l’homme et de la femme et de la glaire cervicale, et ce, sans avoir le droit au moindre dessin ! Un évêque africain en fut bouleversé :

Merci, Madame, à partir d’aujourd’hui, je sais d’où je viens…

Grossesse secours

Un mot encore sur leur dernière-née, Grossesse secours, fondée en 1973 à Grenoble, pour venir en aide à toutes les femmes enceintes en difficulté — les 3/4 d’entre elles sont des immigrées sans papier, avec la CMU (couverture médicale universelle) pour seul acquis. Alors, ils les prennent en charge : accueil, écoute — elles ont souvent fui leur pays en guerre —, nourriture, layette… Ils sont soutenus par la banque alimentaire auprès de laquelle François se rend chaque semaine, par des subventions de la DASS, du Conseil Général… C'est ainsi une quarantaine de personnes chaque semaine, et environ trois cents par an, que Grossesse secours aide régulièrement depuis trente ans, tout en s'effrayant de la paupérisation croissante à laquelle il est difficile de faire face 9.

M. G. : — Tout au long de notre existence, nous avons eu la chance de rencontrer des gens de valeur qui nous ont permis de travailler dans d’excellentes conditions.

Nous avons été ainsi entraînés dans des activités que nous n’aurions jamais soupçonnées en nous mariant. Le problème, c’est qu’aujourd’hui nous avons atteint l’âge émérite… et que nous continuons toujours !

 

Propos recueillis à Grenoble le samedi 23 novembre 2002, et mis en forme par Geneviève Le Hir et Pascale Rivoire-Mazzoni

 

 

La sexualité : sens philosophique et humain, perspectives chrétiennes

 

M. G. : — En fait pour tenter de répondre à certaines de vos préoccupations exprimées soit dans vos questions, soit dans votre lettre du 25 février 2004, je vous ai adressé des éléments de réflexion que l’on peut trouver dans mes différents topos, ou dans le livre du Père d’Heilly, entre autres. Et dans ma réponse du 4 mars, je vous ai déjà donné les grandes lignes de ce que nous pensions. Mon activité de conseillère conjugale depuis 40 ans m’a permis de rencontrer de nombreux couples venant parler de leurs difficultés relationnelles et sexuelles, je les ai très rarement entendu reporter sur l’éducation religieuse la cause de leurs difficultés, qui réside plus souvent dans une méconnaissance des différences homme femme en ce qui concerne le désir sexuel, ou tout simplement l’anatomie ! et la physiologie masculine et féminine. Certaines femmes pensent par exemple que l’érection est un phénomène volontaire, qui équivaut à une demande de rapport sexuel ! Il faut reconnaître que l’ambiance de libération sexuelle de notre temps, dans les médias, le cinéma, la télévision, la publicité, crée des problèmes dans les couples , où les femmes sont quelquefois très mal à l’aise et interloquées de ce que se mettent à leur demander leurs conjoints, plus sensibles qu’elles aux images érotiques (cela vient d’être publié dans une étude sur certaine zones du cerveau !).

La Cambuse (B.B.)  : — La sexualité est-elle forcément une activité conjugale (au sens large, incluons si vous le voulez bien les concubins durables, et maintenant les pacsés…) et pourquoi ? Inversement, un couple en bonne santé, même âgé, peut-il tenir sans tendresse sexuelle ?

Michèle Guy : — Qu’appelez-vous sexualité ? dans cette question, il s’agit semble-t-il des relations sexuelles. Tout le monde sait bien qu’elles ont lieu à l’intérieur d’un couple, la plupart du temps hétérosexuel, que ce couple soit marié ou vivant un amour mutuel, même si non engagé officiellement ; on sait aussi que ces relations peuvent n’être que de rencontre, ou extra-conjugales. Ce qui changera, c’est le sens qui sera donné à ces relations par les partenaires. Dans le couple conjugal qui s’est promis fidélité, elles prennent le sens de don de toute la personne, et d’un don fécond, le corps étant le symbole (et pas que le symbole, quand la vie y prend sa source) de ce qui est vécu au niveau amoureux, sentimental, voire spirituel. Les moments fastes seront ceux où les trois désirs de la sexualité humaine seront présents dans le même acte : amour, plaisir et enfant.

Oui, un couple qui s’aime a besoin de se témoigner , sa vie durant , un attachement sexuel.

La difficulté peut provenir d’un décalage hormonal entre l’homme et la femme après cinquante ans ; au couple alors de trouver un autre rythme, ou d’autres formes de tendresse sexuelle, que le rapport lui-même. Les marques de tendresse d’époux âgés ne seront pas celles d’un frère et d’une sœur ! L’inégalité fréquente homme-femme dans le domaine du désir sexuel n’a pas de solution toute faite, sinon dans l’amour inventif des époux.

La Cambuse : — Le message évangélique, ou chrétien, apporte-t-il un éclairage incontournable et positif, ou est-il (a-t-il été) un obstacle à l’épanouissements sexuel (notion peut-être… imprécise), ou d’autres religions ou philosophie peuvent-elles aider à construire des couples heureux et socialement positifs ? (= trois questions en une !).

Michèle Guy : — Ce n’est pas en quelques phrases que l’on peut répondre à une telle question ; il y a sûrement, Dieu merci, des couples heureux appartenant à d’autres religions et philosophies que la nôtre. Pour moi l’aspect positif et incontournable du message chrétien, est qu’il ne mutile pas la sexualité, il tient les deux bouts de la chaîne : le plaisir, et l’amour fécond, et qui plus est l’amour monogame ; c’est dans ce dernier aspect que je vois vraiment l’originalité du message chrétien. L’égalité de l’homme et de la femme est pour moi tellement fondamentale que, même si l’on m’explique que l’Islam, ou telle religion orientale indique très bien comment faire l’amour et valoriser le plaisir, ce à quoi je n’ai aucune objection, le seul fait qu’il soit considéré comme normal que le monsieur puisse avoir plusieurs épouses légitimes est absolument rédhibitoire. Et si cet aspect du message évangélique est considéré comme un obstacle à l’épanouissement sexuel, ce n’est pas à l’honneur des hommes (masculins). Certes, la polygamie successive existe chez nous, mais ce n’est pas au nom du christianisme, et le principe de la monogamie demeure.

La Cambuse : — Le christianisme n’a-t-il pas survalorisé la sexualité, qui pourrait être conçue comme une tendresse amicale multiple, ou qui est conçue et vécue par certains comme un plaisir passager pas plus grave que boire un bon verre… ? Au fond, l’importance de la sexualité n’est-elle pas artificiellement grossie par telle ou telle idéologie ?

Michèle Guy : — Je ne pense pas que le christianisme ait survalorisé la sexualité, c’est dans le christianisme (avec le Christ comme exemple) que l’on a vu se développer la virginité comme une valeur ; les femmes ont eu enfin le droit de ne pas se marier, les hommes aussi d’ailleurs. Ce fut le changement marquant d’avec le judaïsme d’où pourtant étaient issus les premiers chrétiens.

La Cambuse : — Que penser de la mode de l’échangisme (= infidélité sexuelle librement consentie ou voulue, très médiatisée aujourd’hui, entre autres par le best-seller de Catherine Millet) et de la valorisation, voir de l’officialisation dans certains pays des couples homosexuels 10 (thème : toutes les pratiques se valent, liberté, égalité…). Ou bien, au nom de quoi affirmer que le couple doit être sexuellement fidèle ou forcément hétérosexuel (deux questions en une…).

Michèle Guy : — Je vous redis ici, ce que je vous ai déjà répondu sur ce sujet, à savoir qu’évacuant la vie par définition, l’échangisme, les aventures sexuelles, la valorisation de l’homo­sexualité, ne présentent qu’un aspect mutilé de la sexualité. La séparation plaisir-procréation y est totale et de principe. Oui, le couple a été prévu pour être hétérosexuel, et fidèle : ce qui va avec la procréation, d’ailleurs, car la fidélité n’est pas que conjugale, c’est un dû des parents à leurs enfants, et pas seulement à leur conjoint. Mais cela n’est pas souvent dit.

La Cambuse : — Que pensez-vous du « naturisme », de la nudité collective, en tous cas avec des enfants jeunes ? Pour les ados, passons, c’est sans doute plus difficile à vivre…

Michèle Guy : — Je suis de l’avis de nombreux psychologues qui se sont penchés sur l’enfance, Françoise Dolto en particulier, qui voit les effets négatifs du nudisme parental sur les enfants ; ou alors elle demande aux parents s’ils reçoivent leurs amis dans cette tenue… Je pense que j’aborde cette question dans le texte sur l’éducation affective et sexuelle que je vous ai adressé 11 ; quant au naturisme, je ne me suis jamais penchée sur cette question, et ne puis vous répondre. Si cela vous intéresse, il doit bien y avoir des études sur la question !

La Cambuse : — Sur le sens de la sexualité et de l’amour conjugal, connaissez-vous des penseurs qui vous ont éclairés, ou des livres incontournables ?

Michèle Guy : — Oui, il y a des penseurs qui m’ont intéressée et éclairée, j’ai mis une bibliographie dans le texte sur l’entente sexuelle que je vous ai adressée, et le livre du Père D’Heilly est également intéressant 12.

La Cambuse : — Que pensez-vous de la phrase de Jésus qui dit : « Celui qui regarde une femme avec désir a déjà commis l’adultère en son cœur avec elle » 13 ?

Michèle Guy : — Dans Matthieu 19, le Christ dit que si l’homme répudie sa femme et se remarie, il commet l’adultère, ce à quoi les apôtres répondent que dans ces conditions cela ne vaut pas la peine de se marier ! Et le Christ les renvoie alors à la Genèse, où il est écrit que l’homme quittera son père et sa mère, qu’il épousera sa femme, et qu’ils feront une seule chair ; je vois là une forme de la pédagogie du Christ : si l’on n’a pas quitté sa façon infantile d’aimer, on n’est pas capable de rester fidèle.

Quant à la phrase dont vous parlez (j'ai toujours imaginé qu’elle parlait bien de désir de relation sexuelle, et pas seulement de trouver une femme jolie et de l' en complimenter éventuellement, ce qui évidemment n'a rien de contestable) elle me paraît très juste, en ce sens que c’est bien obligatoirement comme cela que ça commence : et que c’est bien dans le cœur de l’homme qui a regardé cette femme, (on peut dire aussi dans le cœur de la femme qui a regardé un homme), c’est à ce niveau-là, que la tentation doit d’abord être combattue ; ne disons-nous pas dans le Confiteor, que nous avons péché en pensées, en paroles et en actes ?

La Cambuse : — En fin de compte, est-ce que la sexualité est une belle et divine chose, ou une invention diabolique !

Michèle Guy : — Évidemment, la sexualité est une belle chose, c’est à elle que nous devons la vie, et notre conjoint, et le bonheur conjugal, et nos enfants, et nos petits-enfants et nos arrière petits-enfants, et c’est l’amour conjugal, donc la sexualité, qui représente la comparaison employée si souvent dans l’écriture, la Bible, saint Paul, pour symboliser l’amour de Dieu pour les humains et l’Église en particulier ; oui, mais, il y a le péché originel (auquel plus personne ne croit, sauf les psychanalystes, me disait l’un d’eux), et l’homme (au sens du genre humain) qui est capable du meilleur comme du pire. C’est lui qui est capable d’en tirer du mal.

 

1 Le PDV n’avait pas d’opposition théologique à la mixité de ses camps, mais il connaissait les avantages de la non-mixité et il pensait que certains de ses gars allaient être gênés dans leur évolution. Il n’est pas sûr, d’ailleurs, que la mixité soit une bonne solution éducative, l’évolution fille/garçons n’étant pas parallèle. Les Guides de France, qui ont su préserver leur identité par rapport aux scouts, s’en félicitent aujourd’hui. François et Michèle Guy, quant à eux, constatent que les informations sont bien plus difficiles à délivrer dans un groupe mixte.

2 François Guy, ainsi, participe à un groupe de réflexion sur les sectes.

3 Pratique courante en psychanalyse, où les praticiens eux-mêmes se font généralement « superviser » par un confrère dont ils reconnaissent l’autorité. Il faut cette prise de distance qui éclaire, recentre.

4 Méthode d’observation très utile aussi quand le couple est confronté à des problèmes de stérilité.

5 Si ! ça a un intérêt en soi, affirme Michèle…

6 Ce livre est à lire.

7 L’Action Familiale vient de fêter ses 40 ans d’existence au cours d’une semaine de célébrations, du 19 au 29 septembre 2003, avec la participation du Président et du Vice-Président de la République Mauricienne, de Madame la Ministre de la Femme et de la Famille, du Cardinal Margéot, des cadres actuels de l’Action Familiale. Michèle Guy, sans François hélas qui n’a pu l’accompagner, a donné à cette occasion à Maurice, au grand public ou aux couples éducateurs, plusieurs conférences, et a retrouvé avec grande joie tous les amis.

8 Activité signalée plus haut.

9 Michèle Guy rajoute, un an et demi après cet entretien, qu’ils ont la très grande tristesse de devoir mettre fin à cette activité bénévole devenue trop lourde, faute de relève, Grossesse secours ferme en effet définitivement ses portes le 31 mars 2004 après plus de trente années de service.

10 Au programme, pour coller avec l’actualité, du nouveau gouvernement socialiste espagnol, et tout récemment sujet de débat politico-juridique en France.

11 Michèle Guy produit beaucoup d’articles, et nous en a envoyé plusieurs. Son style vivant, percutant n’est pas moins admirable que sa maîtrise du sujet. Voir aussi son petit livre intitulé Le Couple et son histoire, Se transformer pour durer, Éd. du Cerf, 1997.

12 Un livre à lire absolument : Alphonse d’Heilly, s.j., Aimer en actes et en vérité, 1996, éd. St. Paul/CLER.

13 Mt 5, 27 et 28. –“ Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu ne commettras pas l'adultère. Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l'adultère avec elle. ”

Dans un livre qui intéresse les Cambusards, et sur lequel nous reviendrons, Léon Morin, prêtre, de Béatrix Beck, la narratrice, amoureuse du prêtre Léon Morin, dont certains pensent abusivement qu’il a eu pour modèle réel Jacques de Vallée, en tire parti de manière quasi perverse : « Jésus-Christ a enseigné que la concupiscence équivaut à l’adultère. Mais cette pensée dépassait son but : ayant désiré, j’ai donc possédé, exultais-je malgré moi, du fond même de ma détresse ». (Page 205 de l’édition Folio).