- in La Cambuse n°11, octobre 1999 -
Résumé des épisodes précédents : Après nous avoir informés de la découverte des globules verts et conseillé le slip chauffant des docteurs Groslar et Tatin en vue d’une contraception efficace, notre ami cambusard, le fameux Doc Zonpi, interrogé depuis, chaque semestre, par Gudule Castorette et le rédacteur en chef de La Cambuse lui-même, a expliqué le mystère de l’anesthésie manquée de M. Chevènement, a relativisé les craintes légitimes que nous pouvions avoir, en entrant dans un hôpital, d’en sortir par la morgue, et a fait la preuve de son talent de praticien en déshabillant Gudule pour diagnostiquer une bursite au coude. L’illustre mandarin asthmatologue nous accorde un nouvel entretien…
Doc Zonpi : Entrez ! Ah ! Berthier, qu’avez-vous fait de Gudule ?
La Cambuse : Elle a été circonvenue, débauchée et soudoyée, à la sortie de notre dernière visite, par les journalistes de The Lancet… Tout le conseil de rédaction de La Cambuse en déprime.
Impact factor et MD, PhD
Doc Zonpi : Pourtant, l’impact factor de La Cambuse connaît une progression fulgurante.
LC : Sans doute, mais was ist dass, ô Lumière des patients ?
Doc Zonpi : Restons simples entre amis, Berthier. Appelez-moi modestement MD, PhD.
LC : Aime, dis, pis ai-je dis ?
Doc Zonpi : Oui, c’est comme cela que l’on dit de Paris (Texas ou Illinois) à Rome (Oregon ou État de New-York), et que l’on dira bientôt de l’Atlantique à l’Oural. Medicine doctor, Philosophia doctor. On a beau dire, ces Anglo-Saxons ont gardé le goût de la culture classique. Je fais une thèse sur les lactates et l’hypoxie, et hop, me voilà propulsé au rang d’Épicure et de Leibniz ! Bref, l’impact factor — simplifions, vulgarisons, mettons-nous à la portée du grand public — c’est un peu comme le classement ATP des joueurs de tennis. On compte les points après chaque tournoi. Plus un article d’une revue est cité par d’autres auteurs dans une autre revue, plus longtemps un article suscite des échos dans la vie scientifique, plus l’impact factor de la revue augmente. Or je me suis laissé dire que La Cambuse, non contente d’être lue en Virginie, en Sibérie et au Nigeria, est grande ouverte sur le bureau de Bruno Frappat, rédacteur en chef de La Croix ! Fabuleux ! Je sens que je vais me réabonner, cette fois-ci.
LC : Je vois, Eh maudit p et deux jeudis, je vois que nous n’allons guère parler médecine aujourd’hui… Je vous trouve étonnamment guilleret et prolixe !
Doc Zonpi : Je rentre de dix jours de vacances conjugales en Espagne, où j’ai participé à trois congrès médicaux à Ibiza, Grenade et Séville. J’ai pris la parole sur l’asthme hypoxistique et les lactates, puis sur l’hypoxie pré-asthmatique lactatitopique, puis sur les lactates dans l’hypoxie asthmatiforme, car j’aime élargir et varier le champ de mes recherches. Nous avons eu très beau temps durant toutes ces conférences, m’a dit mon épouse qui visitait les estampes japonaises des musées et les boudoirs des châteaux. D’après ce que j’ai pu en voir par les photos de halls d’hôtels, l’architecture hispano-andalouse paraît être une architecture excellente pour les bronches. De plus, l’Andalousie est un pays de citrons et de pamplemousses, et le jus de pamplemousse est un antioxydant puissant qui empêche la progression de l’obstruction bronchique et donne aux belles de Cadix un œil, un œil… Vous voyez, Berthier, nous parlons médecine !
Six milliards de patients
LC : Merci, Ennemi, Pis d’Jedi. Que pensez-vous de l’événement démographique qui nous fait être six milliards d’êtres humains sur terre ?
Doc Zonpi : De la chair à prion ! Les chiffres des décès par encéphalopathie spongiforme bovine viennent de faire un bond en avant remarquable en Angleterre. D’après un article des docteurs Packon et Raban publié dans le New England Journal of Medecine (Boston, Harvard), nous voici peut-être au point de départ d’une courbe exponentielle qui rendra Gengis Khan et la peste noire, Napoléon et la tuberculose, Hitler et le sida comparativement à peu près aussi funestes que le risque de noyade dans la mer Morte. J’attends impatiemment les prochaines statistiques…
LC : On dirait que cela vous réjouit ?
Doc Zonpi : La lutte pour la santé est une guerre, les médecins sont les généraux d’aujourd’hui : comme les Condé, les Malborough et les Rommel, nous aimons les grandes manœuvres et les adversaires coriaces. Berthier, mon petit, la science est à l’aube de progrès faramineux, et il y a plus de promesses dans mes éprouvettes que dans toute votre philosophie !
LC : La revue Nature a récemment publié un article selon lequel des chercheurs auraient réussi à rendre cancérigène une cellule en pleine santé…
Le théorème du plombier
Doc Zonpi : Génial ! C’est un grand pas en avant. Il est absolument nécessaire de rendre malade le patient, si l’on veut avoir une chance de le guérir ! C’est ainsi que font les plombiers quand ils viennent réparer la chaudière ; c’est bien rare si, après leur passage, la chasse d’eau ne se détraque pas. Plombier ! le plus beau métier du monde ! c’est ce que je me dis quand je fais de la fibroscopie…
LC : Merci, Doc Zonpi.
Bernard Berthier, alias Castor, moniteur de 1970 à 1977