- in La Cambuse n°10, avril 1999 -

 

Doc Zonpi est un homme extrêmement occupé, qui travaille jour et nuit à égorger des souris de laboratoire et à parcourir la France à la recherche de poumons à greffer, quand il ne fait pas souffler ses patients dans des ballons à l’hôpital nord de Grenoble… Nonobstant, nous nous sommes rendus au CHRU de La Tronche, non sans avoir préparé une espèce de piège qui nous permettrait de voir notre camarade à l’œuvre en tant que praticien, et non pas, comme d’habitude, seulement en tant que savant savantissime.    

 

Doc Zonpi : Ah, soyez les bienvenus, chers amis de The Lancet !

La Cambuse : C’est trop d’honneur que vous nous faites, maître, nous ne sommes que les trouble-fête et les exégètes de la gazette gentillette La Cambusette. Pour avoir un moment tranquille avec vous, ô mandarin de l’Île Verte et des Sablons voisins, nous avons envoyé les journalistes de The Lancet, qui piétinaient avec nous dans votre antichambre, interviewer d’abord votre alter ego l’hépatologue Zarski…

Doc Zonpi : Damned ! Je vous déshérite, Berthier ! Je suis unique ! Je n’ai pas d’alter ego ! Zarski, l’habile Zarski, va leur découvrir un ictère foudroyant et les enfermer dans son service, hors de ma portée. Moi qui avais à leur faire part d’idées révolutionnaires sur l’hypoxie dans l’apparition, la prolifération et la résorption des cellules cancéreuses dans le pharynx du rat de laboratoire ! J’ai un projet d’article qui aurait fait un tabac — si j’ose prononcer ce mot dans mon service de pneumologie. Oui, Berthier, je vous déshérite, je vous déserte, je vous déteste ; vous pourriez mourir sous mes yeux d’une attaque d’asthme subit du nourrisson, je ne lèverai pas le petit doigt pour vous faire une trachéotomie. J’espère que Gudule Castorette (si, si, je vous ai reconnue, Gudule !) est innocente dans cette manœuvre… J’ose le croire, je le crois, et vous rassure : si par un heureux accident vous avaliez votre chewing-gum, Gudule, je n’hésiterais pas à vous sauver de l’étouffement en pratiquant le bouche-à-bouche. Ne me remerciez pas, innocente créature… Quelle question de bon augure vous amène dans mon bureau, Gudule ?

LC : C’est un petit problème de santé personnel, si bénin que je n’ose pas en parler à mon généraliste. Mon confrère Berthier m’a conseillé de m’adresser à vous… Depuis Noël, j’ai mal au coude… Je…

Doc Zonpi : Déshabillez-vous, que je voie cela ! Vous avez parfaitement raison de vous adresser à un pneumologue : il n’y guère d’organe qui soit plus près du poumon que le coude.

LC : C’est vraiment au coude, ô Éminence pulmonaire, que je souffre. Dois-je enlever le bas ? La présence de mon confrère me gêne…

Doc Zonpi : Berthier, au coin, bras croisés, dos tourné : que votre faute soit suivie d’une punition immédiate. Oui, Gudule, une auscultation générale est nécessaire : le corps humain est un tout, du cou au cou-de-pied, comme l’écrivait Hippocrate dans The New Hellenic Review of Disease and Cure. D’ailleurs, le langage parlé, qui n’a pas tort, dit bien que le côlon fait des coudes ; tout se tient. C’est de la soie ?

LC : Cela va de soi !

Doc Zonpi : Le langage parlé ! Comme il utilise bien l’anatomie : on se met le doigt dans l’œil jusqu’au coude — notez bien jusqu’au coude, pas jusqu’à l’épaule, essayez donc. On ne se mouche pas du coude : n’essayez pas ici, même par modestie. On lutte au coude à coude avec un adversaire ou un rival — la peste soit de Zarski ! Mais Berthier peut témoigner que j’étais bon au sprint du temps des camps de la MDL. On garde un dossier sous le coude, on lève le coude quand on est porté à la boisson. Levez-le, Gudule ma douce, quel coude joli ! Où précisément avez-vous mal ?

LC : Là, au bout, au plus pointu. Je ne peux plus l’appuyer sur une table ni m’en servir pour me défendre ou jouer des coudes. Plus moyen de me reposer, de m’accouder : je me réfugie dans le travail. Cercle vicieux : plus je travaille, plus je consomme d’huile de coude. Soyez franc, doctissime docteur : aurais-je par hasard un cancer du coude ? Je veux la vérité, je suis assez forte pour la supporter !

Doc Zonpi : Calmez-vous, Gudule ! Donnez-moi votre paume. C’est vrai que vous travaillez beaucoup : vous souffrez visiblement d’une calvitie ou d’une pelade du poil dans la main. Quant au coude, pronation, supination, extension, flexion : l’articulation fonctionne normalement ; c’est à l’olécrane (et non pas au bout pointu, Gudule !) que vous avez mal. Un hépatologue croirait bêtement à un traumatisme du nerf cubital, et passerait à côté d'une bursite…

LC : Ouf ! Une bursite ! Je me sens mieux, Doc Zonpi. C’est étonnant comme une maladie nommée est à demi guérie, ne trouvez-vous pas ?… Une bursite ! Avez-vous toujours, comme cela, le mot qui fait mouche, le mot juste, le diagnostic salvateur ? Quand je vais rentrer chez moi et que j’annoncerai à mon mari et à mes enfants que j’ai une bursite, tout le monde sera soulagé. Mais au fait, qu’est-ce que c’est, une bursite ?

Doc Zonpi : C’est une chose trop oubliée. C’est quand on a mal au coude.

LC : Oui, mais plus précisément ?

Doc Zonpi : C’est une inflammation des bourses séreuses. Cela se soigne par le repos le plus complet possible…

LC : Je ne savais pas que j’avais des bourses… sérieuses ?

Doc Zonpi : Séreuses. Des bourses. Tout le monde en a, même les femmes. Pour parler simplement, c’est l’interface huilée par la sérosité, qui, en l’occurrence, permet le mouvement de l’articulation du radius et du cubitus avec l’humérus. Pour parler de manière plus compliquée, je renvoie vos lecteurs au volume 45 de l’Oxford Dictionary of Anatomy, à l’article Elbow (pages 69 à 1367).

LC : Je me procurerai cet opuscule pour lire au camp des Mousquetons. Que vous dois-je, ô Terreur de l’hypoxie ? Comment manifester ma gratitude ?

Doc Zonpi : Ne cherchez pas, Gudule. Simplement, revenez souvent. Sans Berthier. Si vous désirez vraiment me quitter déjà, n’oubliez pas de vous rhabiller, hélas.

LC : Merci, Doc Zonpi !

 

Bernard Berthier, alias Castor, moniteur de 1970 à 1977