- in La Cambuse n°9, octobre 1998 -

 

Nos deux numéros précédents rapportaient les entretiens que le fameux Doc Zonpi avait bien voulu accorder à notre journaliste médical. Faut-il préciser que si Doc Zonpi existe bel et bien, et que c’est un Cambusard, nous assumons l’entière responsabilité de ce que nous lui faisons dire : ainsi, l’existence des globules verts n’est pas si sûre que Doc Zonpi l’affirmait dans La Cambuse n°7, et il serait vain de chercher dans le commerce le fameux slip chauffant des docteurs Groslar et Tatin évoqué dans notre numéro 8.

L’actualité médicale chargée de ces dernières semaines nous a poussés à envoyer deux de nos meilleurs journalistes, Bernard Berthier et Gudule Castorette, demander ses lumières à Doc Zonpi.

 

Doc Zonpi : Ah, soyez les bienvenus, chers amis de The Lancet !

La Cambuse : Excusez-nous, maître ! Nous ne sommes que vos modestes “ amis ” de La Cambuse… Nous souhaiterions obtenir votre avis sur les événements médicaux de cette rentrée : l’anesthésie radicale du ministre de l’Intérieur, et le palmarès des hôpitaux diffusé par une revue de vulgarisation scientifique. Les deux problèmes nous paraissent d’une certaine manière liés…

Doc Zonpi : Vous avez parfaitement raison de vous adresser à un pneumologue quand il s’agit de problèmes dans le vent. Mais permettez-moi d’abord de vous tancer vertement, comme pourrait dire Raymond Barre. Les entretiens que je vous ai précédemment accordés et que vous avez rapportés en dépit du bon sens tendent à me faire passer, auprès de votre lectorat dont on connaît l’importance numérique et l’influence sociale, pour un obsédé sexuel particulièrement libidineux. Je m’inscris en faux contre cette image, et je refuse désormais de parler sexualité avec vous.

Tiens, quelle est cette ravissante créature qui vous accompagne, Berthier, avec ses mirifiques appas typiquement féminins ?

La Cambuse : Permettez-moi, Maître, de vous présenter Gudule Castorette, ma collègue.

Doc Zonpi : Wonderbra ! Pardon, Wonderfull ! Bien. Chevènement d’abord. On dit qu’il a été victime du curare. Arrêtez de sourire bêtement, Berthier, ce n’est pas ce que vous pensez. Dans le gouvernement, il y a tout de même Aubry, Guigoud, Buffet et les autres. Non. Réfléchissez ! Le Val de Grâce est un hôpital militaire. Je subodore là un règlement de compte entre l’Intérieur et la Défense, entre la Police et la Gendarmerie. Ou plus machiavélique encore, un coup bas entre éléphants roses et rosses. Le Mouvement des Citoyens était trop singulier dans la gauche plurielle, et il ne tenait au fond que par son meneur, qui le savait, et s’est fait de la bile. Une flèche empoisonnée au curare, et voilà le mouvement immobilisé. Tout est politique ! L’homme est un animal politique, disait un de mes confrères de l’Antiquité, dans l’Hellenic Review of Metaphysical and Political Anatomy.

La Cambuse : Voulez-vous dire par-là que le simple pékin que nous sommes, si j’ose dire, peut se faire anesthésier tranquille ?

Doc Zonpi : Aussi tranquille qu’un passager de la Swiss-Air, Berthier. Mais, pour endormir votre collègue Gudule et sa parfaite anatomie, j’envisagerais plutôt l’hypnose…

La Cambuse : Venons-en à l’enquête du magazine Sciences & Avenir. Est-il vrai qu’on a intérêt à faire son testament et à recevoir l’extrême-onction avant d’aller se faire gratter l’urètre dans tel ou tel hôpital de province ?

Doc Zonpi : Nous autres médecins sommes peu de chose devant la mort. La science d’échec en échec est en perpétuel progrès. La vie, c’est la mort et sévice versa. Dieu lui-même n’a pas pu empêcher Lucifer de se révolter. Inch’Allah ! Un cigare mal placé dans un tunnel, et Clinton déraille. Les logiciels de Bill Gates font un tabac grâce à leurs bogues. Un microbe de perdu, dix de retrouvés. La vieillesse est un naufrage. L’homme descend du songe et remonte dans le cauchemar. Mystère, mystère, mystère ! [Ici, très impressionnés, nous respectons le silence de trois minutes de Doc Zonpi. Mais finalement :]

La Cambuse : ?…

Doc Zonpi : Rassurez-vous, nous avons peu de décès au CHRU de Grenoble. — Parlons de ce que je connais. Nos rares échecs en chirurgie sont dus à des patients qui se suicident durant leur anesthésie. “ Libertas, libertatis, féminin imparisyllabique, la liberté ”, comme disait le PDV — de manière purement formelle, d’ailleurs.

Il est vrai qu’un jour un chirurgien que je ne nommerai pas a tenté de greffer un homme sur le foie d’un cochon : nous n’avons pas pu sauver ce foie. C’est assez intéressant, ce qu’on peut imaginer de faire avec un bistouri et du scotch ad hoc et toute cette collection d’organes que la nature nous a donnés et qui ne demandent qu’à changer de place et d’individu porteur…

La Cambuse : Gudule, prends ce sucre avec du ricqlès ! Ô maître, reconnaissez que la mort d’un patient hospitalisé pour une opération bénigne a quelque chose de choquant ! Faites-vous parfois votre mea culpa ? Tentez-vous de comprendre la cause du décès pour éviter l’erreur à l’avenir ?

Doc Zonpi : Ayez confiance dans l’hôpital public ! Le chef de service interroge le praticien responsable qui questionne l’interne qui fait subir un interrogatoire à l’infirmière en chef qui engueule l’infirmière de nuit qui découvre la vérité : l’aide-soignante stagiaire est presque toujours coupable d’avoir postillonné dans la perfusion de l’opéré. C’est ce que confirme le docteur Mind The Rain dans le dernier numéro de l’Americain Journal of Surgery.

La Cambuse : D’où ces maladies qu’on dit “ nosocomiales ” ?

Doc Zonpi : Vous êtes un jeune savant, mon ami Berthier. Ces maladies sont toujours dues à des négligences dont je vous ai indiqué l’origine, mais sont rendues possibles aussi par le manque de pratique dans certains hôpitaux dont les chirurgiens n’opèrent pas assez — juste assez pour sauver leur service, pas assez pour sauver leurs patients. Il faut donc tenir compte des écarts de mortalité que la revue que vous citez note entre les hôpitaux, et vous avez tout intérêt à commencer une opération de la hanche à Bordeaux et à aller terminer votre restauration par une prothèse du genou à Libourne. Si cela pouvait se faire sous une seule anesthésie, ce serait l’idéal ! Personne n'hésite à faire trente kilomètres pour choisir une moquette ! Si les Français n'acceptent pas de se déplacer, ils ne seront pas bien soignés…

Disons les choses plus positivement : l’âge d’or du tourisme chirurgical a commencé !

La Cambuse : Merci, Doc Zonpi !

 

Bernard Berthier, alias Castor, moniteur de 1970 à 1977