- in La Cambuse n°11, octobre 1999 -

 

C’est en vain que, comme des appels de chasseurs perdus dans les grands bois [1], j’ai demandé à plusieurs reprises ces derniers temps, dans La Cambuse, que l’on m’aide à découvrir l’étymologie du mot gudu. Nul, pas même écho, ne répond à ma voix [2]. Et comme je ne puis supposer que les cambusards soient paresseux, ou indifférents dans la recherche de la vérité, ou méchants à mon égard, j’en déduis qu’on ne sait pas d’où vient la gudu.

 

Dahu et gudu

Le dahu, du moins, on peut le voir venir de gauche ou de droite, suivant les caractéristiques génétiques de l’individu : il ne descend pas tout droit de la montagne, mais d’une forme plus ancienne, non attestée mais probable, darrutu. Ce qui nous fait une belle jambe, à lui comme à nous. Mais la gudu semble tombée du ciel. Le petit Robert ne recense pas ce mot. Le Larousse non plus, alors que l’un et l’autre connaissent le dahu. Il est clair que les lexicographes sont des gens crédules, puisqu’ils accordent une entrée au mot dahu, qui n’existe pas (désolé de détruire les illusions de quelques lecteurs pèredenoëliens) et qu’ils n’en accordent pas à la gudu, qui existe et que nous avons tous rencontrée ! Attention, je ne veux pas prendre la mouche, et surtout pas avec du vinaigre, mais simplement tenter de réparer une injustice…

Car enfin, la gudu, c’est un élément fondamental de nos camps : on le voit bien parmi les Mousquetons qui, privés de cet instrument indispensable, errent en liberté à longueur de journée sans savoir où ils en sont. Les uns vaquent à leur toilette pendant que d’autres, en amont (cf. Étymologie VIII), font leur vaisselle. Certains travaillent en tirant la langue tandis que d’autres noient sans retenue leur pastis et leur chagrin dans de l’eau et du génépi. Il en est, du beau sexe, qui, en légère tenue et moins encore, s’imaginent à la plage au moment même où de pieux cantiques, venus du fond des âges et de chantres décemment quoique pauvrement vêtus, résonnent harmonieusement sous les mélèzes. La faute à qui, ce méli-mélo scandaleux, ce capharnaüm indistinct, cet embrouillamini inextricable ? La faute à quoi ? À l’ignorance de la gudu dans laquelle les Mousquetons sont retombés.

 

L’heure, c’est l’heure

Examinons au contraire d’un œil scientifiques les mœurs des campeurs d’hier ou d’aujourd’hui. Une entente miraculeuse règne entre leurs cohortes ; leur organisation humaine atteint presque à la perfection de la ruche ou de la fourmilière ; pour un peu, ils rendraient manifeste la supériorité de l’homme sur l’animal. Voyez-les en plein milieu d’un rêve que, vu leur âge, je soupçonne érotique : un coup de corne, les voici debout, la libido en berne. Regardez-les à la fin du repas : un coup de trompe, et les voici rassasiés ; le cul-de-patte un peu tardif aura peut-être raté un rab de pommes, c’est bien fait pour la sienne. Examinez-les sur leur terrain de football et d’escalade en même temps (deux sports en un, c’est tout bénef) : que de fois le goal-qui-perd est sauvé par le gong : le coup de cor a immobilisé la balle à vingt centimètres de la ligne fatale. Enfin, malchance pour le bon Dieu, un coup de gudu coupe le “ pour les siècles des siècles ”, et nul n’ose prononcer le “ Amen ! ” attendu par le Ciel.

C’est que la gudu est l’instrument même de l’autorité. Le chef n’a nul besoin de fouet, d’épée ou de licteurs. Non, sa trompe lui suffit, et le chef gudule aussi naturellement que la chouette chouette [3] et que le hibou hideux hululent : à ces derniers la nuit, au premier l’empire du jour. Son autorité miraculeuse, au chef, tient à une espèce de corne en corne, un cône un peu vrillé que le cornard a dérobé à un mouton ou à une vache — je n’ai jamais été dans le secret des chefs. J’en ai connu un qui avait tenté de remplacé la gudu par un vrai cor de laiton, mais ce fut un échec : j’ai beau aimer le son du cor le soir au fond des bois [4], je suis obligé de reconnaître que c’est un instrument trop compliqué à jouer ou à entendre. Il arrive à produire trois notes différentes, et trois notes, c’est deux de trop dans une collectivité quasi paramilitaire !

 

Sainte Gudu

Je ne connais pas assez la vie de sainte Gudule, chère aux Bruxellois, pour établir un rapprochement entre notre instrument d’anti-musique et la sainte au nom gondolant. Chi lo sa ? Mon petit doigt, que je tiens pourtant réglementairement sur la couture de mon pantalon, m’a dit que le terme du gudu venait du mouvement scout, et que ce mot était déjà employé dans les premiers camps d’été de la MDL : une telle ancienneté lui promet d’entrer sans peine dans le troisième millénaire. Quant à la chose, la Bible l’annonçait, puisqu’on lit en Exode XIX, 13 : Quand la trompette sonnera, ils s'avanceront près de la montagne et trois versets plus loin : le son de la trompette retentit fortement ; et tout le peuple qui était dans le camp fut saisi d'épouvante. Or, tandis que la trompette retentit, Moïse parle à Dieu. Qui sait si, au camp, tandis que le chef sonnait de la gudu, l’aumônier n’était pas branché sur la divine Trinité ? Ou encore, la sonnerie de la trompette n’est-elle pas, semblable à un exercice de pompiers en prévision d’une grande catastrophe, une répétition pour nous préparer à la sonnerie annoncée par l’Apocalypse, et chantée par la liturgie : Tuba mirum spargens sonum… Désormais, s’il m’arrive d’entendre retentir la gudu, ce ne sera pas sans un frisson sacré. Mais la nostalgie n’y sera pas pour rien.

 

Bernard Berthier, alias Castor, moniteur de 1970 à 1977

 


[1]     Cf. Baudelaire, Les Phares.

[2]     Cf.  Du Bellay, Les Regrets, Sonnet  IX.

[3]     Non, je n’ai pas fait une dittographie. Un des deux chouette est adjectif. Devinez lequel.

[4]     Cf. Alfred de Vigny, Le Cor, et Charles Trénet : J’aime le sort du con…